La 13e lettre du facteur (25/10/2015)
Il arrive que les lettres mettent longtemps à nous parvenir. Surtout quand elles ne nous sont qu’indirectement destinées. Il aura fallu 64 ans pour que celle-ci tombe dans les pattes de l’ii. La lettre d’un facteur en plus ! Ce n’est pas banal.
Mais qui se soucie aujourd’hui de ce minuscule cahier (n°68) de la Collection PS (comme post scriptum), édité par Pierre Seghers en 1951, où ce texte de Jules Mougin fut publié ? Jules Mougin c’est ce poète-postier qui correspondait avec le peintre-cordonnier Gaston Chaissac.
Dans Paris, le…, le cahier imprimé dont il est question ici, Jules Mougin se dédouble et feint de recopier les lettres d’un de ses frères facteurs.
Ledit facteur (rural) est en stage à Paris dont il a « plus que marre ». C’est à son épouse restée chez « les bouzeus » qu’il écrit. 14 lettres dont nous avions parcouru 12 d’un œil distrait avant de tomber sur la pénultième qui ne saurait rester lettre morte puisqu’elle évoque la mémorable Exposition internationale d’art psychopathologique qui s’est tenue à Paris à la fin de l’année 1950 pendant le Premier congrès mondial de psychiatrie. Si le sang de l’ii n’a fait qu’un tour à la lecture de cette 13e lettre c’est qu’elle restitue à chaud les impressions d’un homme du commun (ou presque) sur cet événement qui eut pour cadre Sainte Anne, « chez les fous ». Sans nous épargner les détails concrets.
Sur le prix d’entrée : « Il fallait payer 200 francs (…) c’est plus cher qu’un bifetèque ».
Sur les exposants : « J’ai dit chez les fous, mais on les voyait pas. C’était leurs peintures ».
Sur la sélection : « T’avais deux grandes salles de tableaux, en bas t’avais l’Amérique, en haut t’avais la France et puis aussi tous les fous de la terre, la finlande, la sarre, les italiens, la yougoslavie, les anglais et les espagnols.
Sur les cartels : « Chez les Américains c’était écrit en anglais j’y comprenais qu’ouic tandis qu’en France et en Yougoslavie on expliquait en FRANÇAIS heureusement ».
Sur le public : « des gens très chic, des artistes avec des barbes qui restaient des heures devant un tableau (…) trois ou quatre agents de police à cause des voleurs ».
Sur le retentissement : « tout le monde en parle même au bureau ».
Joseph, le facteur de Mougin, a ses petites préférences : « En France, c’est un maréchal ferrant qui dessine le mieux. (…) t’aurais dit des vieilles images de dans le temps. (…) un autre fou a dessiné SON ÂME tu la vois voler avec une robe blanche ».
Ses petites phobies aussi : « J’ai vu sur un dessin un monstre qui riait comme un serpent, AVEC UN TROU QUI TE REGARDE, AU COIN DES LÈVRES. (…) Et dire qu’on peut devenir maboule nous aussi ».
Malgré tous les efforts de l’équipe intersticielle, nous n’avons rien trouvé d’équivalent dans l’iconographie du livre de Robert Volmat (L’Art psychopathologique) relatif à l’exposition de Sainte-Anne.
Mais comment ne pas délirer sur ce « truc inimaginable » qui a si fort frappé Joseph le facteur : « une lettre qui mesure, tiens-toi bien, 120 mètres de long, un vrai paquebot. Le fou se plaignait au Procureur de la République du traitement des docteurs. Il en avait gros sur la patate celui-là ».
01:08 | Tags : jules mougin, sainte-anne, exposition internationale d'art psychopathologique, l'internationale intersticielle | Lien permanent | Commentaires (0)