Triste en corps bière (15/01/2017)

Tristan Corbière chevalier de l’interstice.

Relisons Ça ?, le poème qui ouvre Les Amours jaunes.

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L’auteur y parodie La Nuit de mai après avoir, dans une dédicace à celle qu’il aime, chambré La Cigale et la fourmi. « Anti-art poétique » dit Robert Sabatier. Ça y ressemble en effet. Quand on ne respecte pas La Fontaine, on peut bien dézinguer le Romantisme, le Parnasse et le Spleen baudelairien !

corbière.jpgTristan Corbière (caricatura do poeta pelo próprio) - Frontispício de 'Les Amours jaunes'..jpg

« Merci, mais j’ai lavé ma lyre » profère le poète qui ira jusqu’à se raser les sourcils pour dessiner sur son front deux yeux supplémentaires. « Ce refus oblique de l’Art mensonger s’affiche dès les premières pages du recueil » (Yves Leclair).

Avec une obstination ravageuse et une autodérision radicale, Tristan Corbière énumère tout ce que son œuvre n’est pas : essai, étude, poésie, chanson, chic, épilepsie : « Pas de râle, ni d’ailes »… Le joli, le lyrisme, le classicisme, le succès, la nouveauté en prennent pour leur grade. Même l’Originalité n’est qu’une drôlesse.

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T.C. en femme

« L’Art ne me connaît pas. Je ne connais pas l’Art » : ce dernier mot de Ça ? ouvre à son auteur la porte de la modernité. L’important, de notre point de vue, est que Corbière n’arrive à ce résultat qu’en louvoyant entre valeur sauvage, folie littéraire et culture hégémonique:

- « Mais, est-ce du huron, du Gagne ou du Musset ?

- C’est du… mais j’ai mis là mon humble nom d’auteur ».

Pour mémoire rappelons que Paulin Gagne (18O8-1876), figure majeure de ce qu’il est convenu d’appeler les fous littéraires, se fit remarquer en son temps par L’Unitéïde (724 pages, 25000 vers) et quantité d’autres écrits plus ou moins extravagants.

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Ses fantaisies électorales, son délire né d’une table tournante, ses conceptions visionnaires (pour le droit de vote des femmes notamment) lui valurent d’être considéré comme un illuminé. Comme Jonathan Swift, mais sérieusement, il préconisa (lors du Siège de Paris en 1870) l’anthropophagie.

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Qui s’intéresse  à Paulin Gagne lira avec profit la longue notice que lui consacre Michel Dansel dans Les Excentriques. Elle donne toute sa résonnance à l’allusion de Corbière à ce Gagne qui se proclamait « l’avocat des fous ».

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18:05 | Tags : l'internationale intersticielle, tristan corbière, paulin gagne | Lien permanent | Commentaires (0)