Autre berger qui se prend dans nos filets : Bernard Bluet d’Arbères, du Pays de Gex près de Genève. Analphabète mais auteur prolixe dictant ses œuvres à un secrétaire. Illuminé mais les pieds assez sur terre pour tirer profit de sa folie. Un excentrique sous Henri IV.
Bluet se roulait dans les orties quand son désir de femmes le taquinait trop. Charles Nodier en a fait une vedette dans la catégorie Fous littéraires. Jean-Baptiste Châtre de Cangé, un grand collectionneur de livres du 18e siècle, prétend que Bluet se promenait presque nu dans les rues en portant une croix de bois.
Cela ne l’empêchait pas de faire imprimer ses visions sur des petits livrets qui sont aujourd’hui si recherchés qu’un blogue de la région (Raconte-moi Divonne) demande à ses lecteurs dans sa rubrique contact, si des fois ils n’auraient pas la chance d’en posséder un.
C’est que Bluet a intéressé au cours du temps des auteurs tels que Agrippa d’Aubigné, Bertrand Guégan, Raymond Queneau, Michel Foucault. Selon André Blavier, Scutenaire le tient même pour un écrivain « de grand style ». Rares sont les occasions de vérifier ce jugement. Le hasard des ventes publiques en fournit une le 14 février 2018 avec la Collection d’un bibliophile.
Le n° 22 décrit par le menu un recueil de 78 livrets du Comte de Permission (pseudo titre de noblesse de Bernard Bluet). Citons : « Ses publications (…) gardent une authenticité peu commune pour l’époque. A partir de 1600, ses livrets se trouvèrent réunis sous le titre L’Intitulation, véritable journal de folies imprimées. On y découvre un précieux témoignage de la langue orale de l’époque ».
Authenticité et folies prolongées dans les gravures qui agrémentent les livrets. A propos de celle du livret 75, que reproduit le catalogue de la vente, Pierre Gustave Brunet, éditeur et fameux bibliographe, dans son essai sur Les Fous littéraires (1880), usait d’un charmant euphémisme : « d’une singularité risquée ».