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Fictions décalées

  • M. R. et M. R. : duo de poètes disparus

    Maurice Remontrant appartient au cortège des poètes trop tôt disparus dans des circonstances dramatiques. Sous les assauts conjugués d’une pleurésie et du découragement, sa jeune vie s’est achevée à l’hôpital psychiatrique de Cahors en 1965. Il avait 21 ans et il serait aujourd’hui totalement oublié si un interne de cet établissement, le docteur Larchet n’avait pu sauver sa mémoire. Passionné par les écrits de malades mentaux, Larchet exhuma des manuscrits de Remontrant de la bibliothèque de l’hôpital. Pour les mettre à la disposition des chercheurs, il les présenta à la presse le 20 novembre 1976.

    Aucune édition n’en fut faite car on s’aperçut vite qu’ils avaient été déjà publiés sous un autre nom. Celui du romancier Marc Ronceraille (1941-1973), « poète maudit » et sportif de haut niveau. Un accident de montagne mit fin à la carrière de ce play boy des lettres des années 70, si prématurément qu’on peut douter de nos jours de son existence. Ronceraille n’en figure pas moins, aux côtés de Roland Barthes, Boris Pasternak ou Virginia Woolf dans la fameuse Collection Ecrivains de toujours, cette Pléiade du Seuil.

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    C’est dans ce volume –le centième de la Collection– publié en 1978 que l’on trouve le peu de renseignements dont on dispose sur Maurice Remontrant. Sous la plume de Philippe Morand qui nous campe un garçon exigeant et inquiet, nerveux et capable d’« éclairs extraordinaires ». Plutôt petit, mince, « avec des cheveux très noirs, mal peignés, une grande mèche lui tombant sur les yeux, des yeux très vifs, presque inquiétants (…). On l’aperçoit sur une photo en compagnie de Marc.

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    Maurice Remontrant était « l’aiguillon » de l’école poétique de Saint-Jean d’Angély groupée autour d’une revue artisanale d’avant-garde Le Centripète. Sous le pseudonyme de Lésaimère (allusion à leurs initiales communes), les deux poètes y donnèrent aussi des textes à quatre mains.

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    Cette conduite littéraire fusionnelle fut-elle fatale à Maurice ? Autorisa-t-elle Marc à s’attribuer la paternité de L’Architaupe, Sol mémorable, Runes et L’Imagerie mécanique du professeur Batave qui forment l’essentiel de l’œuvre ?

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    Toujours est-il que le destin de Remontant fut scellé. Souffrant de névralgies, dépressif après la mort de ses parents, il fut contraint d’entrer à l’asile « à la suite d’un esclandre » dont on ignore la nature. Tenter de l’imaginer nous entraînerait dans la légende, c’est-à-dire dans la supercherie.

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  • E.T. Téléphone Maset

    Une incursion dans la garrigue nîmoise. Doublée d’une plongée dans la science-fiction des années 70. La rencontre fortuite sur les rayons d’une bibliothèque de deux livres peu faits pour voisiner. Univers parallèles : régionalisme d’un côté, ufologie de l’autre..

    Au bon vieux temps des masets de Jean-Charles Lheureux (1988).

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    « Sous les tonnelles des masets [nous dit Lheureux] existait une manière de bonheur dans la simplicité qu’il nous est difficile aujourd’hui d’appréhender et, plus simplement, de concevoir ». Le maset, « minuscule enclos, le plus souvent entouré de murs de pierre sèche, avec une petite maison de style indéterminé… ou sans style ».

    Rencontre avec les extra-terrestres d’une certaine Rose C. (1979).

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    Pas vraiment le décor idéal pour une rencontre du troisième type. Et pourtant… C’est à la fin de cette « civilisation du maset » qui dura un peu plus d’un siècle que se situe l’aventure de Rose. En 1952 exactement. Son témoignage se lit comme un roman populaire. Le concours des préfaciers : Guy Tarade, Jimmy Guieu, écrivains chevronnés, incite à penser d’ailleurs que c’en est un.

    La jeune femme approchée par des extra-terrestres (des géants de 2 mètres 30 plutôt bons gars) a beau n’avoir que son certificat d’études, elle connait les lois du genre littéraire. Rien ne manque à son récit : grands chiens noirs, grosse clé, vieille poussière, solitude nocturne, étroits sentiers. Frisson, suspens, mystère. Ça se lit comme Alexandre Dumas. Au passage la belle, montée dans la garrigue pour quelques jours de vacances, croise les réalisations de son défunt grand-père. Un puits magnifique, « travail de titan ». Une tour, caractérisée par son enroulement hélicoïcal autour d’un cône.

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    « Accôtée à un bâtiment imitant un peu l’aqueduc du Pont-du-Gard, cette tour pointue était d’une grande originalité ». Dotée d’un escalier en colimaçon facilitant son crépissage périodique, elle se terminait par une flèche métallique (baptisée Excalibur par un voisin) « dont l’étonnante particularité était d’émettre certains jours une sorte de bruit bizarre et continu (…) ».

    Difficile de savoir si cette curieuse pièce d’architecture populaire existe encore. Une archive photographique illustrant le livre de Rose C. nous la montre dans son état des années 20. S’agirait-il d’un photomontage, l’image n’en serait pas moins interstiCielle.

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  • Retour de Bad Boy Bubby

    En cette fin d’année, offrez-vous du triple B et visionnez l’épatant Bad Boy Bubby, un film de Rolf de Heer qui nous vient d’Australie et qui a raflé plusieurs distinctions à la Mostra ! Qu’est-ce que je faisais en 1995 pour être passée à côté de ce chef-d’œuvre ?

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    Bad Boy Bubby c’est d’abord la découverte d’un acteur démentiel au sens premier du terme : Nicholas Hope. Doté d’un physique de western spaghetti, visage buriné et yeux bleu délavé, il était a priori incompatible avec le rôle de Bubby.

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    Pourtant, dès les premières minutes, il accomplit des prouesses de jeu remarquables, notamment grâce à une mâchoire indépendante de son visage qui n’est pas sans évoquer celle d’un Jack Nicholson. C’est la merveille ! Une performance hors du commun, bien aidée d’ailleurs par tous les autres acteurs du film.

    Ne vous dérobez pas aux premiers instants, poursuivez ! Vous ne le regretterez pas… Bubby apparaît pour la première fois, nu, les pieds dans une bassine de fortune. Cheveux hirsutes et longs, crâne et tempes dégarnis. Sa mère le rase comme un homme et le lave comme un petit garçon.

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    Depuis 35 ans, elle le maintient en enfance à coup de trique et de préceptes religieux pour simplet. Ils vivent dans un réduit de deux pièces sans lumière du jour et, quand elle doit sortir, elle enfile un masque à gaz factice pour lui faire croire que l’air du dehors est toxique.

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    Petit crucifix sans tête, seul ornement au mur. « Dieu voit tout ce que tu fais et il va t’écraser… » Il n’y a rien à faire, pourtant. Rien d’autre que de torturer un chat malingre. Rien d’autre que de se faire chevaucher, tous les soirs, par une mère cinglée, redoutable bigote lubrique. Moments plus calmes où Bubby a le droit de la maquiller ou bien d’enfiler ses robes pour l’imiter à la perfection.

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    La mère fait du caramel et le verse délicatement dans des collerettes de papier d’un blanc immaculé perturbant, au milieu de toute cette crasse. En son absence, Bubby doit rester immobile sur une chaise toute la journée devant ces douceurs auxquelles il ne peut toucher. Coup de théâtre, le père un minable escroc revient habillé en prêtre de pacotille…« Pourquoi l’avoir prénommé Bubby ? » La mère rétorque qu’elle attendait son retour pour donner un prénom ! Aussitôt, la situation est changée. Sous la coupe du père, la mère néglige son Bubby, elle en oublie presque de le violenter.

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    Après un acte libératoire, Bubby enfile la panoplie du paternel, le col blanc de « pope » et se fabrique une étrange barbe avec du caramel et un peu de ses cheveux coupés. Un autre film commence. C’est dans cet accoutrement qu’il sort dehors pour la première fois de sa vie. Pleine nuit lynchéenne sur les docks du port d’Adelaïde. Il croise une petite chorale de l’armée du salut dont le chant le fascine. Il découvre la pizza. Il n’a pour langage que les phrases ordurières qu’il a entendues toute sa vie et qu’il replace de façon incongrue et décalée, ce qui donne lieu à des scènes très burlesques. Sans malice, il touche les seins de chaque femme dotée d’une poitrine opulente. Certaines seulement s’en trouvent heureuses.

    Il fraye avec un groupe de rock désargenté. La musique lui ouvre le monde. Petit à petit, son champ d’expressions et d’attitudes s’étoffe.

    Scène d’anthologie où il retrouve le groupe de rock sur scène dans un bar. Le guitariste lui tend le micro. Bubby accomplit alors une prouesse vocale, une improvisation naturelle à base de miaulements, de cris et une bordée d’injures scandées avec un sens inné du rythme. Il devient le performer « pope », s’inventant sur scène une identité autre. Plan resserré sur son visage éclairé magnifiquement par des poursuites changeantes. Deux autres performances « live » suivront, avec un flow tout aussi jubilatoire.

    Dernier volet : la rencontre dans un parc avec des handicapés. Bubby a désormais assez de mots à lui pour traduire les émotions de personnes bouclées en elles-mêmes, tout en restant un grand enfant dans l’âme qui va à l’essentiel : le toucher, le manger.

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    La fin extraordinaire ne se dit pas.

     

    On attend une sortie dvd - digne de ce nom - et qui respecte la bande-son si élaborée.

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  • Retour à Carnevali

    Retour à Carnevali qui n’est pas seulement un lieu imaginaire.

    Carnevali est surtout le nom d’un prosateur italien de la première moitié du vingtième siècle qui écrit aussi en anglais. Un de ces poètes auxquels on colle l’étiquette de maudits parce que leur destin, non content d’être tragique, nourrit une œuvre à première vue facile à lire mais difficile à admettre tant on s’y sent travaillé par une sourde énergie délétère que l’on convertit par commodité en mélancolie romantique alors qu’elle rélève d’une ancienne et profonde fracture de l’être.

    carnevali-2.jpgEmanuel Carnevali (1897-1942), on le compare parfois à Rimbaud à cause des radicaux changements de direction de sa vie. Le caractère poignant de son roman autobiographique LE PREMIER DIEU rappelle aussi le ton de désespérance sublimée qui fait la beauté des Confessions d’un mangeur d’opium anglais. Je ne mentionne Thomas de Quincey que pour rétablir l’équilibre.

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    On a fait –on peut faire– de Carnevali le précurseur d’un certain désenchantement propre à la Beat Generation. Le malaise existentiel qu’il relate sur le mode de la reviviscence correspond de ce point de vue au caractère bancal de sa place dans l’histoire de la littérature. Ce pourquoi sa façon de se glisser dans l’entre-deux nous intéresse.

    emanuel carnevali fevrier 1918.jpgEnfance marquée au fer de la violence parentale, exil précoce en Amérique, sombre misère à New York et Chicago, instabilité amoureuse, activité littéraire malgré les jobs abrutissants, tendresse pour les jeunes prostituées, maladie du sommeil (encéphalite) et retour en Italie où il végète jusqu’à sa mort dans des institutions… la vie trouée d’Emanuel Carnevali ne se distinguerait que par son pittoresque misérabiliste s’il n’en avait fait une œuvre « intersticielle » par son écriture.

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    emanuel carnevali

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