Rien de tel que la distraction pour croiser l’interstiCiel. L’œil rivé à La Lorgnette de la Villa Browna, le substanCiel blogue de deux libraires des beaux quartiers situés derrière le musée du Quai Branly, je suis tombé sur un baston mettant aux prises deux ethnologues. Bon, ça ne date pas d’hier. La chose eut lieu en 1875. C’est une longue note de Valentine Del Moral sur un « bibliophile maudit », amateur de « kimonos jolis », qui nous relate ce fait-divers.
D’ordinaire je crains un peu ce genre de glose érudite mais la chose était rédigée avec assez de désinvolture pour que je laisse traîner mon regard blasé sur les aventures du japonologue Léon de Rosny (1837-1914).
Bien m’en a pris puisqu’au détour du valentinique propos se profila soudain la silhouette singulière d’un drôle de paroissien que j’eus tout de suite envie de tutoyer de plus près : Émile Petitot (1838-1916), missionnaire dissipé, vrai savant et éminent linguiste es langues amérindiennes. Une turbulente soutane, un indiscipliné comme on dit au Québec, « un remarquable oublié » selon Radio Canada.
Lui qui ne cherchait pas à convertir avait été baptisé Fils du soleil par les Inuits qui visaient peut-être par là ses éblouissantes tendances hallucinatoires.
VDM relate le savoureux mic mac parano dont il embarrassa Rosny à propos d’un manuscrit iroquois qu’il soupçonnait d’être un faux. Petitot dont on possède de beaux portraits en costume de peaux de bêtes s’était déjà signalé par d’autres excentricités.
Courir nu dans la neige, nouer des relations intimes avec un jeune domestique, tomber amoureux d’une femme métisse par exemple. Excommunié temporairement de l'autre côté de l'océan il n'en fut pas moins curé, 30 ans durant, dans la banlieue de Paris après que son autorité de tutelle l’ait fait interner puis rapatrier en France. Le fait est qu’il voulut attenter à la vie de son supérieur, lequel n’appréciait sans doute pas qu’il fût plus intéressé par les coutumes des Indiens que par la propagation de la religion des Européens.
Ses enquêtes scientifiques chez les autochtones de la région septentrionale du Canada sont pourtant incontournables.
Explorateur, il dessina et cartographia, préférant la compagnie des chiens de traîneaux à celle de ses collègues traditionalistes.
Collectionneur d’objets inuits, il fit preuve aussi de tempérament artistique comme en témoigne la décoration de l’église Notre-dame de Bonne-Espérance à Fort Hope qu’il réalisa lors de son séjour entre 1864 et 1878.
Il est l’auteur d’un dictionnaire de la langue des Dénés, un peuple qui croyait que le feu parle.