Résister en alexandrins. Ça paraît aujourd’hui dérisoire. C’est pourtant la gageure que soutint une Poitevine durant la nuit de l’Occupation. Claire Pope dont on ne sait rien, si ce n’est qu’elle fut enseignante, publie à la fin de 1945, à compte d’auteur, un curieux livre. L’Orgueil ou le rêve de Hitler se présente comme un « poème dramatique en 5 actes et 12 tableaux ».
Au milieu des milliers de témoignages qui, la paix revenue, voient le jour, une tragédie sur Hitler fait figure d’exception par la nature même de sa forme littéraire. L’action se passe à Berchtengaden, le nid d’aigle de la vipère nazie que les Alliés viennent de détruire. Les personnages ? Hitler et Lucifer, Goebbels, Goering, Himmler, Mussolini, une secrétaire, un docteur, un huissier audiencier. Tous ces mannequins s’expriment avec des accents cornéliens ou raciniens tant Claire Pope semble imbibée de dramaturgie classique. 86 pages héroïco-naïves, des milliers de vers scandant l’irrépressible chute d’un projet diabolique au milieu des crimes et des atrocités :
« Immobile et glacé, saisi, tremblant de peur
Je crois devenir fou d’épouvante et d’horreur »
L’auteur dans son avant-propos célèbre la mémoire de Louis Toussaint, professeur au Collège Moderne de Poitiers, déporté et assassiné en Allemagne. Déjà en 1941, Claire Pope avait composé des chansons stigmatisant les occupants qu’elle faisait lire à son entourage (ce qui n’était guère prudent). La disparition de Toussaint, cet ami résistant, précipite sa fureur poétique.
Dès la fin de 1942 elle entreprend d’écrire son poème dramatique. Ne disposant pour se documenter que de la propagande de l’ennemi, elle est amené à se servir de matériaux oniriques : rêves sous forme de récits, hallucinations visuelles et auditives d’un dictateur plein d’orgueil plus cruel que le démon dont il est le pantin.
L’inconscient certainement montre ici le bout de son nez. Claire Pope à l’irrationnel semble accorder par ailleurs quelque crédit quand elle écrit, à propos du sinistre Adolf qu’il est « tout naturel que le doute ait plané et plane encore sur le mystère de sa disparition ou de sa mort ».
Les caractères Art-déco de la typographie utilisée sur la couverture contrastent bizarrement avec le contenu de cet ouvrage. Une petite vignette représentant Gutenberg figure au dos.
C’est celle de l’imprimeur : A. Chopin à Lezay dans les Deux-Sèvres. Pour la petite (et pour la grande) histoire, il faut souligner que cet artisan fournissait pendant la guerre de faux-papiers à la Résistance dont Claire Pope incarne un interstiCiel visage.