Pour être prophète en son pays il n’est jamais trop tard. C’est ce qui arrive à Gaston Mouly (1922-1997) dont Goujounac, son village natal, s’apprête à célébrer l’œuvre et la mémoire. Nombreux sont ceux ici, à Bordeaux ou à Paris, qui se souviennent de cette personnalité d’exception, sculpteur et dessinateur sans avoir appris. Mais le temps a passé depuis la disparition brutale de Mouly. Il est bon que ses concitoyens s’instituent les passeurs de son message artistique pour les jeunes générations.
Autodidacte dans son cas ne signifiait pas sans savoirs ou dépourvu de techniques. Gaston possédait les bases solides d’un entrepreneur de maçonnerie habile qui parcourait le pays, fier de montrer à ses amis les bâtiments qu’il avait construit. Simplement quand il décida en fin de carrière de laisser libre cours à un désir d’art qui l’habitait depuis sa jeunesse, il transposa son métier et ses méthodes dans les médaillons (plus tard les sujets en ronde-bosse) modelés et patinés grâce à sa science du ciment et des pigments.
Un peu plus tard, donnant essor à des qualités inhérentes à ses croquis préparatoires, il fut amené à multiplier les dessins sinueux, si lisses et si étranges, qui sont la marque de son talent.
Le carton d’invitation au vernissage (4 juin 2016 à 17h) de l’exposition Autour de Gaston Mouly reproduit un détail de l’un d’eux. Il illustre les antipodes entre lesquelles il tendait.
On peut y lire une petite scène champêtre et festive servie par des couleurs gaies. On peut s’y alarmer aussi de ces crêtes pointues comme des dards en couvre-chefs de personnages plastiquement désarticulés. Mouly quant à lui passa les quinze dernières années de sa vie (les plus créatives) dans un funambulisme entre deux univers sociaux.
Celui de sa région du Lot où, connu de tous, il était comme un poisson dans l’eau et celui des grandes villes où il cherchait à se faire connaître. Amoureux de la vitesse et des automobiles, la route finit par l’emporter. Mais il eut tout loisir de se mêler à ce qu’il s’imaginait être une vie d’artiste, goûtant avec gourmandise aux rites des galeries, des amateurs d’art et des intellectuels épris de marginalité. Sans s’inquiéter d’en rester au stade étroit de ce qu’on nommait à la fin du XXe siècle, la singularité.
Décalé, interstiCiel mais maître de son cap. Imperméable aux critiques. Il aimait donner les noix de ses arbres qui noircissaient ses doigts, le soleil de son Quercy en bouteilles de Cahors mais était peu soucieux de recevoir : un dessin de Chomo le laissa indifférent. Centré comme il était sur lui-même, sa capacité à résister à l’intimidation était admirable. Peut-être devait-il ça aux professionnels de l’art qu’il avait fréquenté. Une photo des années 80, extraite de la revue Gazogène dont Jean-François Maurice (auquel il est associé pour l’occasion) était l’animateur, est significative à cet égard. On y voit Mouly donner la main à Michel Zachariou pour l’installation d’une œuvre de plusieurs tonnes.
Selon M.Z., c’est ce jour là que Gaston Mouly improvisa la première exposition de ses œuvres personnelles. Sans complexe. En compagnon qui ne craint pas de s’afficher avec ses pairs. C’est que Mouly, dans ses activités de maçon, avait eu la chance de fréquenter Roger Bissière. Et que Bissière avait tout pour ne pas gâcher une vocation.