Allez savoir ce qui, dans la boîte d’un bouquiniste ou sur les rayons d’une bibliothèque de hasard, nous fait choisir tel livre de poche plutôt qu’un autre ? Sans se soucier que l’écrivain ainsi élu soit déjà dans ce purgatoire où le mouvement versatile des temps et des choses pousse les talents.
Hervé Guibert, par exemple, dont un petit roman dédié en 1985 « à l’ami mort » (Michel Foucault) m’est tombé entre les mains sans que je sache quel profit interstiCiel j’allais en tirer.
Ce n’est pas la couverture réalisée d’après un académique tableau d’Evariste Vital Luminais, revu et corrigé par je ne sais quel Ben ou Fromanger, qui fut la cause de cette rencontre.
Plutôt le titre laconique (Des aveugles) s’associa-t-il trop bien dans mon esprit à cet « air sérieux, halluciné, presque somnambulique » (Edmund White) qui flotte encore dans le regard de Guibert maintenant qu’il est dissocié de cette image angélique et satanique de bogosse qui lui collait au visage.
« A l’origine de cette fiction - précise l’avant-propos du livre – il y a l’expérience menée par Hervé Guibert à l’Institut National des Jeunes Aveugles, où il fit d’abord un reportage puis devint lecteur bénévole. Au sein d’une institution que l’on dirait sortie de Surveiller et punir, Guibert imagine comment les enfants aveugles s’évadent de ces hauts murs par la violence de leurs fantasmes et l’exacerbation de leurs sensations » (Frédéric Gaussen).
Et cela nous mène, dans un bac à sable où Josette et Robert, les deux principaux héros de cette chronique de la cécité, expérimentent de nouvelles pratiques de communication où l’art et l’érotisme se mêlent si intimement qu’elles relèguent loin derrière elles bien des dérisoires tentatives avant-gardistes de notre contemporanéité : « chacun, l’un après l’autre, croyait dessiner quelque chose de son corps, le faire toucher à l’autre dans le sable, comme si cette première caresse loin du corps donnait ensuite le droit d’y avoir accès, sous le vêtement ou à travers. Des motifs simples furent dessinés. Puis au cours des ans, l’exploration mutuelle prenant des formes différentes, des orgies abstraites comme des géométries apparurent et disparurent dans le sable ».