Charles Gounod sous un autre jour. Sans doute pense-t-on peu à cette vedette de la musique du Second Empire. Auteur du tube de l’Ave Maria dont les pieuses paroles latines remplacèrent une déclaration d’amour empruntée à Lamartine. Toute sa vie, Gounod (1818-1893) oscilla entre ses tendances au mysticisme et à la sensualité.
On ne s’en rend pas compte quand on croise sa belle barbe dans cette Provence où il composa son opéra Mireille en 1864. Entre deux crises d’angoisse.
Il y laissa le souvenir flatteur d’un ami de Frédéric Mistral, le dieu local.
A l’auberge où l’on protégeait sa tranquillité et celle de son élégante épouse, les gens ignoraient que le musicien avait été interné chez le Dr Emile Blanche (le psychiatre de Nerval) en 1857 à Passy. « Ce pauvre Gounod est devenu fou » disait alors Berlioz. Il se trompait. Mais vers 1840 déjà la sœur de Mendelssohn l’avait trouvé exalté.
Ce qui n’empêcha pas Gounod d’être pour les Anglais « un des rois de l’opinion et du goût » selon Jules Claretie. Faust (1859) fut l’opéra favori de la Reine Victoria.
La fécondité exceptionnelle de ce créateur bipolaire, ses facultés de concentration impressionnèrent ses contemporains. Ne reconstitua-t-il pas de mémoire la partition entière de Polyeucte, l’opéra qui lui avait été soustrait ?
Ces capacités ne lui valurent pas que des succès. Elles l’exposèrent aussi à des manœuvres d’exploitation, en un temps où le droit des auteurs était mal protégé. S’ensuivirent des procès avec ses éditeurs.
Puis contre la soprano Georgina Weldon (1837-1914) avec laquelle il noua de 1871 à 1874 des relations complexes.
Cherchant « un maître sur qui règner » (Lacan), celle-ci fut à la fois l’impresario, l’interprète et la partenaire amoureuse du musicien quand il se réfugia en Angleterre après la guerre de 1870.
Il semble que Georgina Weldon ne renonça jamais à l’ascendant pris sur Gounod qu’elle appelait « mon vieux » (il avait 19 ans de plus qu’elle). Ni au filon constitué par son talent qui s’exerçait aussi, à la fin de sa vie, dans le domaine littéraire.
Dans un curieux livre, publié en 1902, elle publia les poèmes (assez mauvais) qui lui furent adressés par le défunt musicien grâce au concours de plusieurs mediums médiocrement dessinateurs. Georgina s’adonnait au spiritisme depuis longtemps.
Attribué par précaution à Ch. Gounod (Esprit), ce volume de 128 pages intitulé Après vingt ans et autres poésies contient une préface où le traumatisme de la séparation de la soprano et du compositeur est évoqué en termes voilés.
On sait que celui-ci finit par se sentir séquestré à Tavistock House (Bloomsbury) chez son hôtessse qui le faisait travailler.
Les circonstances de son exfiltration par sa famille conseillée par le Dr Blanche sont rocambolesques. Tout autant que celles au cours desquelles le trop complaisant mari de Georgina Weldon tenta en 1875 de la faire interner. En bonne féministe qu’elle était, Georgina sut résister. Elle avait du caractère. Ce qu’elle tend à prouver chiromancièrement par des gravures de ses mains.
Illustration qui fait penser à celle du surréaliste Westwego (1922) de Philippe Soupault.