On pourrait croire que les bergers sont des santons qui passent leur temps à faire du baby-sitting en attendant des people couronnés. Il n’en est rien. Et il est bon de se rappeler que leur condition était moins pastoralement idyllique. Aujourd’hui avec les smartphones ça va mais jadis l’isolement auquel leur métier les exposait ne devait pas être d’un rose Marie-Antoinette.
Certes, la solitude les conduisait à l’art. Ils sculptaient le bois, sifflaient, vocalisaient, jouaient de la flûte comme personne. Mais elle engendrait aussi des frustrations. Pulsions sexuelles et pulsions d’art se combinaient alors.
Comme dans la légende de la Sennentuntschi tombée de la montagne grisonnaise qui n’abrite pas que des Heidi. Dans l’imaginaire des Alpes la Sennentuntschi désigne cette poupée de paille et de bois que les bergers confectionnaient pour assouvir leur besoin physique. Un sex toy rustique-moderne en quelque sorte. Un mannequin-fétiche qui fait penser à celui qu’Oskar Kokoschka fit fabriquer après sa rupture avec Alma Mahler.
Le problème c’est que la poupée d’amour de la légende suisse-allemande finissait par s’animer d’une diabolique indépendance et à se retourner contre qui avait abusé d’elle. Moral ! Jusqu’au 21 février 2016 le Rätisches Museum de la ville de Chur (Coire en français) consacre une exposition aux Sennentuntschi.
Un thriller d’horreur du réalisateur Michael Steiner a, en 2010, porté au cinéma la créature érotique et meurtrière des alpages. Une vampirique affiche, réalisée par Ernst Oppliger d’après des motifs traditionnels en papier découpé, nous confronte avec le regard charbonneux de cette Cruella de la montagne.
Au théâtre, une pièce fut aussi tirée de la légende par le dramaturge suisse Hansjörg Schneider en 1971.
Qui voudra en savoir plus sur la Sennenpuppe ou sur d’autres aspects de l’érotisme lié au pastoralisme et à la transhumance aura intérêt à consulter (comme moi) l’article de l’ethnologue Guillaume Lebaudy paru dans la livraison du printemps 2015 de la revue L’Alpe (Glénat / Musée Dauphinois) intitulé : Le Sexe de l’Alpe, numéro (presque) érotique.
Empruntons lui pour finir ce photo-relevé de Nathalie Magnardi donnant à voir des nus et une scène primitive gravés sur des roches dans le secteur du pic des Merveilles.