Le Brunius du Sandre est arrivé. Jacques-Bernard Brunius c’est ce grand type en maillot rayé et moustaches en guidon de vélo qui canote dans La Partie de campagne de Jean Renoir. Il a laissé de lui cette image de faune qui danse autour de l’émoustillée madame Dufour interprétée par Jane Markel.
Aérien, classieux et drôle à la fois. Échalas léger. Grande tige flexible. Roseau spirituel. Tout pour s’illustrer dans le registre du fugace. De ces seconds rôles qui participent si bien de l’ambiance des films qu’on finit par en oublier le nom des acteurs qui les incarnent.
Brunius. Brunius dont la carrière sur les écrans a éclipsé les autres talents de : réalisateur, poète, critique d’art et de littérature, essayiste, traducteur. D’homme de radio et de collagiste aussi. Toutes activités rondement menées, à cheval sur la France et l’Angleterre où il resta après la guerre qui le vit prendre -lui si peu gaulliste- une part active dans les émissions anti-nazis de la BBC.
Activités variées où il sut préserver ce « côté improvisé, amateur, dilettante » que Renoir admirait dans son jeu. « Touche-à-tout de génie » selon André Breton dont Brunius qui se situait dans l’orbite gravitationnelle du surréalisme était le correspondant fidèle.
"Ma main". Dessin de Brunius (1949)
Mais il faudrait ôter de cette expression ce qu’elle conserve de péjoratif. Toucher à tout, dans le cas de Brunius, c’était non seulement donner libre cours à une curiosité insatiable, c’était aussi s’inscrire dans une position par nature risquée (pour ne pas dire interstiCielle). Celle où les autres restent désorientés de ne savoir vous cibler.
Cet éclectisme assumé, en accord avec ce dandysme britannique dont Brunius cultivait le genre vestimentaire, trouve son emblème dans le titre Violons d’Ingres qu’il donna en 1939 à son documentaire pionnier sur le Facteur Cheval et d’autres créateurs spontanés comme Auguste Corsin d’Etampes ou Angelina Opportune Leverve de Semur-en-Auxois. Il eut cependant l’inconvénient de flouter l’image de cette figure du cinéma dont l’œuvre restait méconnue du fait de sa dispersion dans les revues, les journaux, où Brunius publiait.
Aussi faut-il tirer son béret français aux Éditions du Sandre qui prennent l’initiative de faire remonter à la surface, grâce au travail de Grégory Cingal et Lucien Logette, un choix riche et significatif de textes bruniusiens oubliés. L’ouvrage de 542 pages ressemble à un petit coussin dodu.
Mais il ne faut pas s’affoler. D’abord parce qu’il contient un index, une table et une présentation très commode. Ensuite parce que l’ordre chronologique suivi facilite le repérage. Les maniaques s’agaceront du temps qu’il faudrait prendre pour en faire une consommation systématique. Mais les adeptes d’une lecture diagonale adaptée à la démarche primesautière de Brunius y trouveront leur chemin. En privilégiant par exemple les témoignages, les lettres à sa fille (aussi émouvantes que celles de Breton à Aube), les déclarations ou les réponses à des enquêtes… Et en se laissant distraire par tout relief que leur œil rencontrera.