Au Gugging, à ses chers schizos Léo Navratil dispensait de temps à autres une incitation à la création.
Pour Ernst Herbeck qui se sentait comme un corps étranger dans la société et dont les rares paroles étaient, selon lui, « téléguidées » par une hypnotiseuse, le psychiatre un jour propose (avec un bristol de la taille d’une carte postale) ce thème : La mort.
Ernst alors écrit :
La mort un jour s’est immiscée.
et aux morts a volé la vie.
ainsi la mort comme alors s’est effacée.
et aux morts offrait à nouveau
la vie.
La version originale figure dans les 100 Poèmes / Gedichte, un petit livre rouge publié chez Harpo & en 2002
Der Tod kam einst einhergeschlichen.
und raubte den Toten das Leben.
so ist der Tod wie einst verblichen.
und schenkte den Toten wieder
das Leben.
Pour transposer en français les formes linguistiques originales dont Herbeck usait dans ses écrits, il n’a pas fallu moins de 5 traducteurs : Eric Dortu, Sabine Günther, Pierre Mréjen, Hendrik Sturm, Bénedicte Vilgrain. Cela valait la peine. On le sent bien. Surtout les jours où, comme l’écrit Ernst Herbeck dans un autre poème :
La révolution est finie
le temps est passé,
et le fusil maudit.
pourtant la GUERre va
son train.
« Doch der KRIEg geht weiter » C’est un halluciné lucide dont on entend la voix. Un écrivain qui, selon Navratil, « ne corrigeait pas, ne retravaillait pas ses textes, ne les conservait pas, ne choisissait pas ceux qui seraient publiés ».
Un poète qui, à propos de la poésie, disait : « c’est seulement passager chez l’homme ».
La particularité d’Ernst Herbeck c’est l’écrivain allemand W.G. Sebald qui a su le mieux nous la transmettre : « Au moment de se quitter Ernst Herbeck éleva son chapeau et, debout sur la pointe des pieds, légèrement penché en avant, fit un mouvement circulaire, pour qu’au retour son chapeau regagne sa tête, le tout comme un jeu d’enfant et l’effet d’un art difficile tout à la fois ».