Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

michel leiris

  • L’art des Marquises

    « Nous précédant de quelques pas, un jeune gentleman, très bien tatoué, vêtu d’un pantalon blanc et d’une chemise de flanelle, s’avançait d’un air détaché. »

    On est en 1888. Robert Louis Stevenson se souvient de cette rencontre. Lors de son premier voyage dans le Pacifique sud à bord du yacht Le Casco.

    schooner-yacht-casco.jpg

    On est à Hiva oa, principale île de l’archipel des Marquises, dans un vallon proche du village d’Atuona. Suivons Stevenson qui suit Poni le Marquesan. Dans un endroit idyllique, Poni demande aux voyageurs de s’asseoir.

    fanny-et-r-l-stevenson.jpg

    Il s’absente un moment et revient avec une noix de coco pour se rafraîchir, un morceau de bois de santal et « un bâton qu’il avait commencé de sculpter ». Ce bâton témoigne du malentendu inhérent au contact de deux positions d’esprit, encore éloignées l’une de l’autre à l’époque. La polynésienne et l’européenne.

    Robert_Louis_Stevenson,_his_family_and_Samoans,_and_the_band_of_HMS_Tauranga_at_Vailima,_ca._1890.jpg

    Citons : « une portion seulement était sculptée, quoique le reste du dessin fut crayonné tout du long ». Est-ce parce que l’écrivain-voyageur créditait son interlocuteur de « vanité ingénue » qu’il lui demanda d’acheter l’objet ? Toujours est-il que loin de vouloir « récolter des éloges prématurés » Poni « recula d’horreur ».

    La suite est à rapprocher de ce que Michel Leiris relate dans L’Afrique fantôme (1934) à propos des méthodes de la mission Griaule où l’on n’hésitait pas à soustraire leurs fétiches aux villages dogons.

    Tranquillement Stevenson qui fait d’ordinaire preuve de curiosité bienveillante et d’empathie à l’égard de ceux qu’on appelle alors les « naturels » ajoute : « Sans m’émouvoir, je refusai tout bonnement de le restituer, car je m’étonnais depuis longtemps qu’un peuple capable de manifester dans le tatouage un tel don d’invention arabesque, ne le déployât nulle part ailleurs. Je tenais enfin une preuve du même talent, sur un autre mode ; et l’inachèvement, à notre époque de trucage, était pour moi une heureuse marque d’authenticité ».

    couv Dans-Les-Mers-Du-Sud-Stevenson-1150649233_L.jpg

    Les passages cités, dans la traduction de Théo Varlet, proviennent de : Dans les mers du sud. 

    il_fullxfull.1196228101_tjfb.jpg

    Lien permanent Catégories : Fragments, Valeurs sauvages 1 commentaire Imprimer
  • Un Diogène breton

    couv ruban.jpgDénouer Le Ruban au cou d’Olympia au fil des 288 pages de l’édition Gallimard de 1981 c’est par exemple, à la 95e, faire la rencontre de Tanguy. Non le peintre du même nom mais un ouvrier agricole, une sorte de clochard.

    « Terreuse plus que pierreuse », tels sont les mots qui viennent à Michel Leiris pour évoquer la « tanière » de cet aide jardinier breton, jaloux de sa liberté, alcoolique et réfractaire.

    A l’auteur de L’Afrique fantôme, elle inspire cette relation presque ethnologique : « Ce n’est pas une gaine de pierre qu’il avait pour lit mais une sorte de terrier, trouvé tout fait et juste à sa mesure, dans lequel il s’enfournait tout habillé, après s’être enveloppé de papier journal quand l’hiver l’obligeait à se protéger du froid. Un vieux vélo, quelques ustensiles de cuisine, un tas de bois préparé pour le chauffage en plein vent, ainsi que le paquet de vieux journaux et d’illustrés composant ce qu’il appelait sa bibliothèque – tel était à peu près le matériel dont disposait ce Diogène ».

    vieux journaux.JPG

    tas de bois.jpg

    Lien permanent Catégories : Fragments, Hommes non illustres 0 commentaire Imprimer
  • Tchad en 24 dessins

    Ils s’appellent Abba Kabir, Mohamed Bessallah, Ab-del-Kader. Personne à leur sujet ne se pose la question : que sont-ils devenus ? Ils avaient entre 7 et 14 ans dans les années vingt du vingtième siècle. Au moment où leurs dessins furent recueillis par Denise Moran qui les publia dans Tchad, un livre ethno-biographique paru chez Gallimard en 1934. Et bien oublié depuis.

    img181.jpg

    La plupart y sont désignés par un simple prénom : Zacharia, Doungouss, Yalinga, Hadoum, Hamidé, Bourma. Quelques adultes aussi parmi eux. Choisis parce que débutants : Mohamed Damba (20 ans), Malloum Mohamed (30 ans), Mohamed Faki (20 ans) qui « n’avait jamais dessiné ».

    img190.jpg

    Où êtes-vous, artistes sans le savoir, créateurs sans peine, innocents magiciens de la forme ? N’était votre absence de notoriété, le bon grain de vos noms ne mériterait-il pas de s’intégrer dans un chapelet où Vassily Kandinski, Paul Klee, Gaston Chaissac, Jean Dubuffet se comptent déjà ?

    img184.jpg

    img183.jpg

    img186.jpg

    Perles sauvages, perles cultivées en liberté. Les premières se distinguant par leur rareté. Les secondes par leur superbe indifférence au calibrage de la pensée.

    img182.jpg

    Il est significatif que cette suite de 24 dessins à l’état natif ait été insérée dans un livre qui contient des vérités sans détour. « Coloniser est insoluble et criminel » (page 233) ne craint pas d’affirmer Denise Moran qui accompagna Edmond Savineau, son époux, en Afrique où il était administrateur.

    img188.jpg

    Fondatrice de plusieurs écoles, sa connaissance du terrain ne se borne pas à des rapports scientifiques. Elle témoigne avec une lucidité indépendante du quotidien révélateur des rapports sociaux et mentaux entre Noirs et Blancs.

    img189.jpg

    De l’incompétence, de la bêtise, de l’alcoolisme et de la brutalité des colons surtout. Mais aussi des moyens plus ou moins bons (quoique puisés dans leur langage, leur religion ou leur culture) que les Africains se voient contraints de leur opposer.

    img187.jpg

    img185.jpg

    C’est par le constat de ce quiproquo tragique, de cet écart constitutif, que le livre de Denise Moran mérite dans nos bibliothèques de trouver sa place près de L’Afrique fantôme de Michel Leiris.

    couv afrique fantôme.jpg

    C’est aussi pour cela qu’il mériterait d’être réédité.

    l'internationale intersticielle,denise moranmarthe savineau,tchad,afrique,aef,colonialisme et anticolonialisme,michel leiris

    Lien permanent Catégories : Hommes non illustres, Les mots pour le dire, Matières plastiques, Peintures fraîches 2 commentaires Imprimer