Réhabilitons Le Livre des Sauvages. Il est sans doute difficile de rencontrer la première édition (1860) du Manuscrit pictographique américain, précédé d’une notice sur l’idéographie des Paux-Rouges.
Cet ouvrage dont l’auteur, Emmanuel Domenech (1825-1903) est un missionnaire français qui exerça en Amérique au milieu du XIXe siècle reproduit un manuscrit conservé aujourd’hui à la Bibliothèque de l’Arsenal.
On trouve cependant facilement sur le Net de très curieuses images qui en proviennent. Elles sont souvent considérées comme de simples gribouillages ou des figurations grossières à caractère plus ou moins obscène.
Sans égards à leur diversité, à leur organisation en système graphique original.
Tout cela parce qu’elles relèvent d’un canular involontaire. Il est attesté en effet que Domenech qui portait aux Indiens des grandes plaines un intérêt scientifique véritable s’est laissé abuser par un recueil de dessins (assorti de légendes explicatives en dialecte germanique) attribuables à un écolier vivant au Canada.
Rien de tels que les savants pour se duper ainsi eux-mêmes ! Toute l’histoire du spiritisme le montre, celle de Glozel aussi. Le livre de notre missionnaire-ethnologue suscita rapidement une réfutation nette de la part d’un bibliographe nommé Jules Petzholdt. Comme, à la même période, le mathématien Michel Chasles qui préférait s’aveugler sur les agissements du faussaire Vrain-Lucas, Emmanuel Domenech s’obstina à défendre sa version.
Dans une brochure de 1861 intitulée La Vérité sur le livre des sauvages, il maintient que son manuscrit « est l’œuvre d’un chef de tribu instruit par un missionnaire allemand ou celle d’un vieux sachem d’origine souabe » ! On notera que les liens de Domenech avec les colons allemands remontent à son arrivée en Amérique en 1846. Il semble surtout qu’il ait établi sa conviction sur le fait que le manuscrit ethnographique proviendrait du marquis de Paulmy (1722-1787) qui le reçut « avec un dictionnaire iroquois ». Argument d’autant plus décisif qu’il faudrait, selon Domenech, de la bonne volonté pour croire qu’un « homme d’élite et savant comme l’était le marquis » ait pu être mystifié. Peu importe pourquoi c’est Paulmy qui titra de sa main le manuscrit pseudo indien. Peu nous importe que celui-ci ne soit pas l’objet scientifique qu’il aurait pu être. Ce n’est pas une raison pour le discréditer. Parce qu’il mérite d’être considéré d’une autre manière, franchement artistique celle là.