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Fragments - Page 3

  • Les anges de Picabia

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    « Les connaisseurs ont tout gâché; dès qu’ils touchent à quelque chose de frais avec leurs mains grasses le pollen y reste collé; voyez ce qu’ils ont fait des chants gitans, de la musique nègre, des dessins d’enfants et de fous! C’étaient des animaux sauvages qu’ils ont mis en cage, ceux-ci y ont perdu leur couleur en attendant d’être débités en morceaux et transmués en billets de banque.»

    Francis Picabia in La Fosse des anges, 1929, revue Orbes n°2

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  • La folie arctique

    l'internationale intersticielle,emile petitot,pierre déléage,pierre boucheron,zones sensibles,anthropologie linguistiqueZones sensibles ramène dans nos filets interstiCiels Émile Petitot, ethnologue à la limite du délire. Petitot, nous en avons parlé déjà l’année dernière parce qu’il nous semblait injustement oublié.

     

    Voilà qu’un professeur au Collège de France, Pierre Boucheron, dans un article du Monde des livres du 2 juin 2017, en souligne à son tour l’existence. En chroniquant sur La Folie arctique, le livre de Pierre Deléage, anthropologue à l’écoute des rituels prophétiques et chamaniques des Amérindiens.

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    L’éditeur de cet ouvrage biographique consacré à notre savant-missionnaire, sage et fou à la fois, est une nouvelle maison belge de Bruxelles qui se consacre aux sciences de l’homme. On lira avec profit son Manifeste où elle éclaire sa voie située entre « gros » et « petits » (éditeurs).

    Pierre Boucheron, pour sa part, en fait l’éloge : « Les ouvrages de l’éditeur Zones sensibles sont de ces objets qui font aimer le papier; leurs couvertures (…) renferment le plus souvent des textes singuliers, rugueux et risqués, élargissant notre expérience du monde ».

    Tout ce qu’on aime.

    Suivons donc Pierre Deléage sur la piste d’Émile Petitot qui eut pour informateur Peau-de-Lièvre, une chamane du nord-ouest du Canada. Il se passionna si fort pour les Dénés dont il étudia la langue qu’il finit par penser que ces indiens « devaient être considérés comme les descendants des Hébreux de l’Ancien Testament ». Suivant en cela (sans le vouloir ou le savoir) un mythe des plus européens puisque cette théorie de la tribu perdue d’Israël fut en usage chez les Juifs d’Amsterdam au 17e siècle.

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    Paradoxalement Petitot, qui fréquenta l’asile d’aliénés de Longue-Pointe à Montréal en 1882, semble s’être prémuni des ravages de la haute folie par ses constructions délirantes elles-mêmes. Le fait est qu’il parvint à retourner à la « normalité » de son sacerdoce en France.

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    Cela ne conduit pas moins Deléage à s’interroger « sur les origines délirantes, furieuses et fantasmagoriques de l’anthropologie linguistique (…) » en général

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  • Politesse bien comprise

    l'internationale intersticielle

    Digne du soldat Chvéïk cette rédaction d’un brave écolier de chez nous qui pour sa capacité à caresser dans le sens du poil une magistrale question (Dites pourquoi la politesse est utile à la société) mérite de figurer dans les annales de l’ii.

    La politesse est utile à la société sinon nous n’aurions pas d’amis et nous ne serions pas admis dans les cours de Français, mathématiques, de Gymnastiques, d’anglais, etc… Si nous n’étions pas poli les surveillants nous coleraient, nous gronderaient et nous donneraient des punitions tout le temps. Si nous n’étions pas poli on nous traiterez de voyous et nous ne trouverions pas de travail plus tard. La Politesse sert à se faire des amis, la Politesse sert aussi à ce que les proffesseurs ne nous grondent pas quand on fait une petite bêtise. La Politesse sert à n’être pas pauvre plus, tard, car quand on est impoli on n’a pas déducation et l’on ne travaille pas on n’a pas d’argent et quand on a pas d’ag argent on est pauvre . Si on n’est pas très poli on est connu. La politesse sert c’est comme la sagesse, la bonté et la gentilesse

    Transcrit d’une feuille de classeur perforée, format 17 X 22 cm, à lignes apparentes. L’auteur, un certain Bruno, écrit fort lisiblement et respecte scrupuleusement la ligne rouge de la marge. Son manuscrit semble dater des années soixante du vingtième siècle. (extrait)

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  • Vaincre en obéissant

    Dans le sillage de notre note du 3 avril 2017 relative à Joseph Thoret, une citation de Charles Mauron qui fut maire de Saint-Rémy de Provence de 1945 à 1959, période à laquelle l’aéropeintre y travaillait.

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    Elle est extraite de : Van Gogh, études psychocritiques (page 99), un livre publié par José Corti en 1976.

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    « L’artiste s’abandonne aux forces que l’homme normal refoule, mais tandis qu’il se laisse porter par elles, il apprend à les connaître et à les dominer. La technique créatrice est analogue à celle de la navigation ou du vol. Tout le problème est de vaincre en obéissant (…) ».

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    L’internationale interstiCielle :

    un blogue de planeurs.

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  • Déprédations programmées

    Un million de dollars pour une citrouille, des miettes pour une cathédrale. Faut-il en rire ou en pleurer ? On se le demande. Même si la citrouille était fausse. Même si la cathédrale était un modèle réduit de celle de Chartres. L’iconoclastie est au cœur de notre monde comme l’obsolescence programmée peut l’être au cœur du marché. Deux événements récents nous le rappellent.

    La destruction délictieuse d’une œuvre de Raymond Isidore au sein de sa maison Picassiette devenue monument historique.

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    L’endommagement accidentel de l’installation cucurbitacière de Yayoi Kusama au musée d’Hirshorn à Washington.

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    Tragédie dans le premier cas puisque la cathédrale miniature constituait le noyau central de la création mosaïquée d’Isidore, le foyer incandescent de sa ferveur bâtisseuse.

    Farce dans le second puisque l’artiste japonaise ne tardera pas à remplacer cette kitchounette citrouille en céramique, récoltant au passage tout le profit médiatique possible de cette péripétie.

    Car la différence s’arrête là. A Raymond Isidore, la stupide volonté de nuire d’un saccageur du dimanche soir. A Yayoi Kusama, l’étourderie d’un visiteur qui voulait prendre un selfie. Acte malfaisant et délibéré dans le premier cas. Acte manqué, plus ou moins induit, dans le second. Plus ou moins induit parce que le mode de visite de l’installation de Yayoi Kusama (30 secondes, porte fermée, seul ou par groupes de 4) supposait bien évidemment le risque.


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    La mésaventure du visiteur maladroit de Washington illustre à sa façon la connivence paradoxale de nos sociétés -pourtant patrimoniales en diable- avec le vandalisme. La pratique de l’incitation douce à la déprédation s’est installée dans les milieux professionnels de l’art au point de faire partie de l’œuvre elle-même en contribuant à son retentissement.

    Exposez par exemple une réplique en lego d’un personnage de Zootopie à taille humaine et il se trouvera toujours un garnement pour franchir le cordon de sécurité et mettre par terre cet artefact de l’artiste chinois Zhao.Tentation trop forte qui ne fera l’objet d’aucune réprimande.

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    Comme dans l’affaire de Washington, les institutions exposantes et les artistes se sentent assez payés d’avoir attiré (ou élargi) l’attention sur des travaux qui n’en méritaient peut-être pas tant.

    C’est en tenant compte de ce contexte qu’il faut mesurer les menaces qui pèsent sur les œuvres des constructeurs de rêves individuels tels que Raymond Isidore. L’ignorance à leur sujet a reculé et avec elle l’hostilité collective aux expressions originales. Mais un vieux fond d’ostracisme demeure repeint aux couleurs ternes d’un égalitarisme à tendance totalitariste. De ce point de vue la montée des prix sur le marché des créations autodidactes fonctionne comme un facteur aggravant d’une certaine jalousie niveleuse (c’est cher donc je détruis) ou socialement narcissique (c’est connu donc j’y porte ma griffe prédatrice).

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  • L’utopie topiaire de Wakamiya-san

    Wakamiya-san et son art topiaire sont venus comme un cadeau au pied de notre sapin interstiCiel. Par la grâce d’une fée des mousses et des lichens qui écrit à notre vieille Animula: « je rentre du Japon et j’ai eu la chance de passer près des topiaires que vous êtes la seule personne à avoir signalés ».

    Claude Lerat-Gentet, pédiatre de son état est aussi « une fondue de botanique et de voyages lointains » dont l’œil et l’APN sont toujours « prêts à tout pour capter paysages, animaux, fleurs et arbres ».

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    En novembre 2016, « lors d’un voyage au Japon (…) dans la région de Kyushu, endroit magnifique avec de beaux Onsen » elle a « eu un choc émotionnel très inattendu : un paysage fantastique digne d’un conte (…) a surgi le long de la lande bordant la route ». Des « topiaires d’animaux et d’oiseaux par centaines».

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    Et notre naturaliste émérite d’ajouter : « (…) lieu étrange et énigmatique et aussi fantômatique dans les brumes du petit matin ». Près d’une « petite ville d’eaux bouillonnantes (…) dans la direction du Mont Aso. Le GPS de notre Toyota n’a donné aucun nom à notre guide francophone et maîtrisant le japonais ».

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    Sur Wakamiya-san, l’auteur de cet endroit magique combinant patience, prouesse technique et génie du lieu, Claude a fini par glaner quelques renseignements en se livrant à « une longue et fastidieuse recherche sur internet ».

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    Ce vieil homme souriant de 76 ans s’affaire sans relâche à soigner son jardin-bestiaire installé dans un gigantesque creux résultant d’une ancienne éruption volcanique.

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    A l’enseigne d’Higotai (du nom d’un parc naturel voisin), une petite boutique de fruits, dont semble s’occuper sa famille.

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    Wakamiya-san, à sa façon toute japonaise, renseigne modestement sur son activité. En « seulement un demi-siècle », il n’a « pas pu faire beaucoup ». Entendez : 50 ans de labeur opiniâtre, 700 sujets dont beaucoup font 2 mètres de haut.

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    Acheter les plants, tordre le fil, modeler les armatures, pendant des mois surveiller la croissance, trouver le lieu propice aux installations dans le vent frais. L’œuvre d’une vie.

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    « Ce personnage étonnant m’a fait penser à un Facteur Cheval du bord des routes » nous dit Claude Lerat-Gentet et pour une fois la comparaison est justifiée. Même si, bien sûr, Monsieur Wakamiya nourrit son inspiration de références populaires locales, telles Kumomon, l’ours mascotte de la Préfecture de Kumamoto.

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    Facteur Cheval du végétal avec ceci en plus que ce jardin merveilleux, qui pulvérise toute notion convenue de land-art, s’inscrit délibérément sous le signe de l’éphémère. Fusionnant plantes et animaux (parfois mythiques), Wakamiya-san que des compatriotes, épris de contemporéanéisme, ont rapproché de Ueki, personnage de manga, ne saurait avoir de continuateur.

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    « Je pense avec nostalgie à cette œuvre fragile car elle demande beaucoup de soins et d’amour quand leur père disparaitra… Immanence des choses si chère aux Japonais » conclut très bien notre informatrice que l’ii remercie de nous offrir ses photos s’ajoutant à notre collection d’images animuliennes.

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  • Rien de rien

    Lisez Rien ! C’est le conseil de Béatrice Steiner en écho aux papiers qui saluèrent l’entrée du roman d’Emmanuel Venet dans notre monde littéraire d’ordinaire peu concerné par la sensibilité interstiCielle. Venet, il est arrivé aux lecteurs de notre ancien blogue, de le croiser à propos de Gaston Ferdière.

    Il revient sur celui-ci tant il « semble apprécier » - comme le dit Marianne Payot dans L’Express – « les sans-grades, les vies ratées, les rêves de splendeur confrontés aux durs aléas de la vie domestique ».

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    Emmanuel Venet campe un personnage de musicien non illustre dont le « ratage » inspire au narrateur un « sentiment de fraternité ». Qui se sert du piano périra par le piano. C’est donc par le biais de cet instrument, scellant dans le roman le destin du musicien Jean-Germain Gaucher, que Béatrice Steiner -psychiatre comme l’auteur- a choisi de poursuivre la réflexion.

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    Un piano fracassant

    Les déménageurs étaient ils seulement maladroits ? Toujours est-il que, leur échappant du haut de l’escalier, le piano s’est écrasé en contrebas sur le pianiste, par ailleurs déjà écrasé de dettes. Des dettes que le piano justement devait rembourser.

    Après le fracas meurtrier, restent ses débris, dignes de figurer au Musée de l’ombre des Illusions sur mesure de Gérard Macé. Les débris d’une biographie de fiction, celle de Jean-Germain Gaucher, musicien, compositeur dont la postérité a dédaigné, à juste titre semble-t-il, les petits arrangements médiocres qu’un superbe poème symphonique, à ses débuts, ne laissait pas prévoir. Mais auquel il a manqué un assentiment « paternel » qui l’aurait validé.

    Alors, céder à la facilité en hypothéquant son désir, brader son talent pour le rentabiliser, n’empêche nullement d’en garder l’illusion. Surtout quand l’élan amoureux y mêle ses harmoniques – découragé à la première dissonance. Faute de père, un beau-père ? Et sa fille, qu’il épouse, ignorant sans doute qu’elle aurait ce mauvais rôle. Elle qui finit de disperser les restes fatigués de ses élans au vent du commerce. Celui qu’elle ouvrira enfin dans le confort d’un rêve qui se réalise quand les déménageurs lui offriront la mort du désir – remboursée par l’assurance.

    Victoire de l’ennui et du magasin des accessoires. De la musique, que reste-t-il ? Silence. Du désir que reste-t-il ? Rien.

    D’où les déménageurs tenaient-ils ce savoir assassin ? Qu’il y a des dettes qu’aucun piano ne pourrait rembourser – ni Rienl'internationale intersticielle,emmanuel venet,béatrice steiner,gérard macé,marianne payot,jean-germain gaucher

     

     

     


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  • A la Plante du Songe

     «Nous n’admettions de solutions que celles du délire,

    nous ne demandions de mots d’ordre qu’au génie»

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    Alexandre Vialatte

    Les Amants de Mata-Hari

     Le Dilettante (2005), page 26.

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  • Paulhan, allumeur allumé

    « Dîner chez Dhôtel. Il me raconte que Paulhan, venant chez lui, voyant son fils qui avait fait un échafaudage avec des allumettes, lui dit : « si maintenant on mettait le feu ?». Ce qui fut fait et causa une brûlure et un trou à la table… »

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    Jean Follain. Agendas 1926-1971.

    Note du 11 novembre 1959, page 261

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  • Bukowski a bien fait ça

    Des jours comme ça, on se soûlerait bien à en crever l’écran de l’ordi. Ça m’a fait penser à Charles Bukowski, l’écrivain américain dont la machine à écrire faisait vibrer les murs. Faut pas croire, aux States, ils ont des poètes et Hank (un des pseudos de Bukowski) en est un. Un de la pire espèce ravageuse qui a tendance à foutre sa poésie dans la vie.

    On se souvient de sa tournée en Europe en 1978. De son passage à Paris sur le plateau d’une émission de TV dont il fit voler en éclats la prétention littéraire. MDR je demeure quand je revois le grand anarchiste Cavanna, débordé sur la gauche de sa gauche par l’auteur des Contes de la folie ordinaire, finir par ordonner à ce vieil enfant terrible l’ordre de fermer sa gueule.


    Mais on ne saurait avec Bukowski en rester à la case spectacle. Aussi faut-il lire la relation des faits telle qu’il la livre dans Shakespeare n’a jamais fait ça. « Allez, bois un petit coup … Ça te fera du bien au gésier… » glisse Bukowski à « l’animateur » qui ne l’impressionne « pas des masses » malgré sa notoriété en France. « Avec dédain », Bernard Pivot lui aurait « fait signe de la boucler ».

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    Selon Mr Hank, « le psy qui avait administré les électrochocs à Artaud » (le docteur Ferdière) n’arrêtait pas de « le scruter ». And so on jusqu’à l’éviction du perturbateur qui, de son aveu goguenard même, « avait déjà pas mal éclusé ».

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    Lisez vous-mêmes. Les cossards ou les radins qui hésiteraient à se procurer ce Shakespeare du « vieux dégueulasse » doivent savoir qu’ils manqueront aussi la non-visite du centre Pompon par Bukowski, bras-dessus bras-dessous avec le cinéaste Barbet Schroeder. « Heureusement que Barbet n’a pas proposé qu’on entre, j’étouffe dans les musées, je préfère encore aller voir un mauvais film, ça m’agresse moins ».

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    Citer c’est trahir déjà mais à celles et ceux que décourage une journée de « turbin ordinaire » ou de chomdu, comment ne pas recommander la description du parvis de Beaubourg où s’affairent des « personnages intéressants » parmi lesquels « toutes sortes de cinglés malsains, endurcis, pathétiques, affamés, automutilés ». Et pour tirer la couverture interstiCielle à moi, j’ai noté : « Un type écrivait un message avec son propre sang sur le ciment ».

    La suite vaut le détour et tout le livre est à consommer sans modération comme la chronique intime et décalée d’un voyage cahotique qui fait grincer des dents et hurler de rire ce qui n’est pas négligeable en ce moment.

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  • De l’art lilliputien

    C’est l’histoire d’une fille, elle est liliputienne. Liliputienne ça ne veut pas dire naine au sens vulgaire du terme. A son patron qui craint que sa petite tête ne loge une cervelle d’oiseau Lia Déminadour (c’est le nom de la liliputienne) explique que « ce sont les circonvolutions qui comptent, pas le poids. Pas le poids absolu mais le rapport du poids du cerveau au poids du corps ». Et cette héroïne inoubliable d’un roman pathétique et drôle de Béatrix Beck d’ajouter : « Je fais partie de la catégorie des nains harmonieux ».

    Cette harmonie swiftienne, Lia s’efforce de l’accepter et de la faire reconnaître par les personnes de taille ordinaire, toujours tentés de jouer avec elle à la poupée. C’est sous cet angle que Béatrix Beck (qui n’était pas grande non plus) déroule, dans son style limpide, transparent et cursif, les chagrins, les joies et le « presque amour » de cette femme de papier qui dit mélancoliquement : « Je ne suis pas prenable ».

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    Pour Georges Lhuys, un artiste-peintre, qui l’idolâtre au point de la représenter en « écureuil, champignon, buisson », Lia, « par mimétisme et rage rentrée » se met à peindre de petites aquarelles : « l’ogre s’égayait avec ses sept filles (…), le marquis de Carabas mangeait son chat (…) le Petit Chaperon rouge (autoportrait) et le loup forniquaient à côté de la grand-mère endormie (…) » Tous les détails pages 67 et 68 de l’édition Grasset de 1993.

    Plus tard, à la page 108 exactement, devenue jeune fille au pair, Lia gratifie l’enfant de 5 ans dont elle s’occupe « de tableautins de sa composition, semblables de facture à ceux qu’elle peignait pour Lhuys (…) mais aux sujets bien différents : paradis terrestre où un corbeau se déplaçait à dos de renard. Sirène se mouchant dans une algue ».

    A l’intersection du monde des enfants et du point de vue des grandes personnes, Béatrix Beck invente la peinture liliputienne.

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  • De Bernard à Renard

    Jules_Renard_by_Vallotton.jpgRenard par Bernard. Tristan_Bernard_1911.jpg

    Autre pensée du jour.

    Issue de la dédicace à Jules Renard en avant-propos des Mémoires d’un jeune homme rangé de Tristan Bernard :

    couv bernard.jpg« Je croyais (…) que Dickens vous avait fortement impressionné. J’ai su depuis que vous le lisiez peu. Mais vous possédiez comme lui cette lanterne sourde, dont la clarté si pénétrante (…) vous permet de descendre en vous, et d’y retrouver sûrement de l’humanité générale et nouvelle. Ainsi vous éclairez, en vous et en nous, ces coins sauvages où nous sommes encore nous-mêmes, où les écrivains ne sont pas venus arracher les mauvaises herbes et les plantes vivaces pour y poser leurs jolis pots de fleur. »

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  • Les robes de Camille

    couv femme.jpgL’interstiCiel à la mode Claudel. D’Henri Asselin, critique d’art, modèle et ami de cette artiste lancée à corps perdu dans l’aventure de la sculpture, cette citation en exergue d’un chapitre d’Une femme, le livre d’Anne Delbée

    « Camille arborait les robes les plus extravagantes et surtout des coiffures faites de rubans et de plumes où se mariaient mille couleurs. Car il y avait dans cette artiste géniale, une démesure, quelque chose d’éternellement enfantin … »

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  • André de Richaud sur le feu

    richaud rouge.pngAndré de Richaud au feu fait sa part.

    Dans un recueil de nouvelles publié par Le Temps Qu’il Fait en 1986, une phrase comme une étincelle donne le départ à un nouveau foyer interstiCiel : « Mais tout flambe dans le monde comme tous mes récits veulent flamber en poèmes ».

    Quelle meilleure clé de l’œuvre de Richaud que cette phrase de Richaud ?

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    En cet été d’autos de pompiers sillonnant les routes du Comtat, du Luberon et des Alpilles, cette phrase se hisse à la hauteur baroque d’un vers de Jean de Sponde couvant dans ma mémoire : « N’est-ce donc pas assez que je sois tout en flamme ».

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    La nuit en Provence fournit parfois le spectacle d’un brasier dansant à des dizaines de kilomètres. Remonte alors de notre esprit le souvenir soufré de médiévales dévastations, de catastrophes naturelles ou morales d’un autre temps. Cités incendiées, mur de peste, chagrins d’enfance.

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    L’insomnie ainsi propagée, le déboussolage propice à la lecture d’André de Richaud peut faire son effet. C’est le moment de se plonger dans Le Feu, une des six nouvelles de La Part du diable. Richaud, dans la veine fantastique et rurale qui lui est propre, y chronique la foudre imaginairement. Celle tombée d’un orage romantique qui a la violence d’un pays dont le Ventoux est le Fuji.

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    Le père d’Hubert le facteur -personnage central du récit- en un éclair fut emporté quand son fils avait 5 ans. On retrouva sa « peau boucanée, étendue sur la maîtresse branche d’un chêne comme une chemise à sécher ». Que faire de la dépouille ? La porter en procession à la veuve. Non sans admirer au passage le tour de main du ciel : « Souple et toute dorée, la peau avait été décollée par un artiste (...) fendue du sommet du crâne à l’anus suivant la colonne vertébrale ».

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    S’insère alors dans cette histoire complexe et nourrie d’éléments biographiques transposés un épisode où la cruauté, le scabreux, l’humour noir et le fétichisme morbide s’emboîtent. La mère d’Hubert et sa tante Clara s’emploient à redonner figure humaine au cadavre avant de l’enterrer. En le rembourrant avec de la laine prélevée dans un matelas éventré. « Quand le cadavre fut bien rebondi -les fesses faisaient plaisir à voir-, les deux femmes (...) cousirent le tout, tapèrent un peu du plat de la main comme on le fait aux édredons et retournèrent la poupée. « Oh ! Marie !...» s’écria la tante Clara qui n’était pas mariée, en rougissant. Marie avait passé la laine jusque dans les plus petits recoins sans prendre garde à ce qu’elle faisait. »

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  • Ernst Herbeck, Der Mannmensch

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    navratil.jpgAu Gugging, à ses chers schizos Léo Navratil dispensait de temps à autres une incitation à la création.

    herbeck portrait.jpgPour Ernst Herbeck qui se sentait comme un corps étranger dans la société et dont les rares paroles étaient, selon lui, « téléguidées » par une hypnotiseuse, le psychiatre un jour propose (avec un bristol de la taille d’une carte postale) ce thème : La mort.

    Ernst alors écrit :

    La mort un jour s’est immiscée.

    et aux morts a volé la vie.

    ainsi la mort comme alors s’est effacée.

    et aux morts offrait à nouveau

                                                        la vie.

    La version originale figure dans les 100 Poèmes / Gedichte, un petit livre rouge publié chez Harpo & en 2002

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    Der Tod kam einst einhergeschlichen.

    und raubte den Toten das Leben.

    so ist der Tod wie einst verblichen.

    und schenkte den Toten wieder

                                                      das Leben.

    Pour transposer en français les formes linguistiques originales dont Herbeck usait dans ses écrits, il n’a pas fallu moins de 5 traducteurs : Eric Dortu, Sabine Günther, Pierre Mréjen, Hendrik Sturm, Bénedicte Vilgrain. Cela valait la peine. On le sent bien. Surtout les jours où, comme l’écrit Ernst Herbeck dans un autre poème :

    La révolution est finie

    le temps est passé,

    et le fusil maudit.

    pourtant la GUERre    va

                                          son train.

    « Doch der KRIEg    geht weiter » C’est un halluciné lucide dont on entend la voix. Un écrivain qui, selon Navratil, « ne corrigeait pas, ne retravaillait pas ses textes, ne les conservait pas, ne choisissait pas ceux qui seraient publiés ».

    Un poète qui, à propos de la poésie, disait : « c’est seulement passager chez l’homme ».


    La particularité d’Ernst Herbeck c’est l’écrivain allemand W.G. Sebald qui a su le mieux nous la  transmettre : « Au moment de se quitter Ernst Herbeck éleva son chapeau et, debout sur la pointe des pieds, légèrement penché en avant, fit un mouvement circulaire, pour qu’au retour son chapeau regagne sa tête, le tout comme un jeu d’enfant et l’effet d’un art difficile tout à la fois ».

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