« Dans les champs, il faut travailler avec art, il faut faire avec goût, sinon l’asperge ça la contrarie ».
Ainsi parlait Bernard Javoy quand on lui rendait visite, chez lui, dans sa maisonnette rurale de Cléry-Saint-André, petite ville du Loiret nichée dans les paroles du Carillon de Vendôme, cette vieille chanson française.
Il nous offrait une salade. Il avait à cœur de se faire comprendre. Quelle meilleur argument que ce produit de son jardin ? Nous venions pour son art. Il le savait. Non pour son talent de paysan mais pour cet art de sculpteur rustique et tendre auquel il s’adonnait avec une tranquille passion depuis qu’en 1987, à l’âge de 62 ans, il avait mis un bémol à ses activités agricoles.
Nous attirait là ce peuple de figurines campagnardes, mêlées à leurs animaux familiers, à qui Bernard Javoy donnait naissance, sans avoir été « guidé par personne », dans le calme de son atelier installé dans une ancienne buanderie.
Un garde-chasse, le curé, des vieux sur leur banc, un trimardeur, des hommes en gros drap bleu, des femmes du même bois, les têtes enveloppées de foulards ou de coiffes en cloche.
Des couples. Des couples, raides et austères dans leurs habits noirs. A peine éclairés de cols blancs. Immobiles comme s’il posaient devant un photographe ambulant.
Des visages taillés à la serpe, silencieux mais expressifs. « Le genre d’autrefois » disait madame Javoy que les travaux de la terre avaient courbée jusqu’à la faire ressembler à l’un des personnages sortis des mains de son mari. Un autrefois où « les gens étaient versés sur le bétail ».
Les ânes au regard triste comme un poème de Francis Jammes. Les chevaux aux flancs lourds dont Bernard Javoy n’avait pas besoin de fignoler la forme pour qu’on en ressente l’efficacité symbolique.
« Le tracteur on l’a eu mais il tasse, c’est négatif avec les asperges » tandis que le cheval « il lève les jambes » et on le dirige à la parole, commentait-il pour justifier sa préférence pour « la manière traditionnelle ».
« J’ai pas abandonné tout ça, je suis resté dans le même monde, dans les mêmes idées » ajoutait Javoy pour expliquer son lien avec la nature prolongé par son travail artistique.
Une modestie innée, une prudence héréditaire vis à vis de son entourage le portait, quand il s’exprimait, à privilégier les aspects techniques. Sur la question des matériaux, il était volontiers bavard, n’épargnant à ses visiteurs aucun détail sur les mérites comparés du platane (« ça fend pas »), du peuplier (« c’est léger ») ou du tilleul (« on fait pas ce qu’on veut avec »).
Mais on sentait à la curiosité qui était la sienne quand il nous voyait choisir, dans le stock de pièces abritées dans un apppentis-show room, celle qu’il nous laisserait emporter en souvenir, combien Bernard Javoy était sensible à l’estime de son public occasionnel.
Son plaisir constituait alors, dans le confort surchauffé de sa cuisine aux dimensions de boîte d’allumettes, à finaliser l’opération en couronnant notre visite de joviales broderies verbales sur son originale façon d’être au monde.
Sur Le petit monde en bois de Bernard Javoy, l’ii recommande à ses lecteurs l’article de Nicole Verdun (Entrée des artistes) paru dans le n° 89 du Journal de la Sologne et de ses environs en juillet 1995.