Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

L'Internationale interstiCielle - Page 9

  • La vie parallèle d’Henry Legrand

    Appliqué à la vie, le parallélisme a tout pour plaire. Surtout quand il se présente, non sous le masque austère d’un vieux philosophe romain mais sous la plume du regretté Michel Foucault : « Ce serait comme l’envers de Plutarque : des vies à ce point parallèles que nul ne peut plus les rejoindre ». J’emprunte cette phrase évocatrice à la quatrième de couverture d’un trapu petit livre bleu ciel publié en 1979 par Gallimard : Le Cercle amoureux d’Henry Legrand.

    couv le cercle.jpg4e de couv le cercle.jpg

    Foucault présentait là une collection : Les Vies parallèles qui n’eut, après la guerre, que deux titres. C’est dommage. Celui-ci, qui traite de l’étrange manuscrit-fleuve d’un architecte cryptographe du milieu du 19e siècle, augurait bien. Mais l’écriture chiffrée n’a sans doute jamais été rentable pour un éditeur.

    le cercle page cryptée.jpg

    Aussi s’y mirent-ils à deux pour offrir au public des années disco un aperçu sur les 39 volumes de cet extraordinaire opus (agrémenté de nombreux dessins à la plume) conservé à la Bibliothèque nationale.

    le cercle page illustrée.jpeg

    Parallèlement -si j’ose dire- à l’édition Gallimard, Christian Bourgois publiait, la même année, Adèle, Adèle, Adèle, en référence à la mystérieuse Adèle de M., présidente de la société secrète dont Legrand était le seul membre masculin. Soit dit sans grivoise allusion bien qu’il fût aussi l’amant des neuf femmes, aristocrates et bisexuelles, composant avec lui le Cercle.

    l'internationale intersticielle,plutarque,michel foucault,henry-alexandre legrand,cryptographie,pierre louÿs,charles monselet

    L’histoire on le voit avait de quoi, intéresser Pierre Louÿs et il s’y intéressa. D’abord en faisant l’acquisition en 1907 de cet ouvrage à caractère partiellement érotique. Ensuite en découvrant le chiffre permettant d’en comprendre le contenu.

    le cercle intérieur 1.jpgAussi est-ce Paul-Ursin Dumont, un spécialiste de Pierre Louÿs, qui avec le concours de son fils Jean-Paul Dumont, professeur d’ethnologie, transcrivirent et documentèrent les extraits des manuscrits d’Henry Legrand contenant ses mémoires et relatant sa vie secrète au sein d’une cour d’amour en parfait contraste avec la société bourgeoise à laquelle il appartenait.

    le cercle intérieur 2.jpgLa collection de manuscrits de Legrand de Beauvais (c’est ainsi qu’on le désigne souvent), seraient d’une grande perfection. Selon Charles Monselet (1825-1888) ils représentent le travail d’une dizaine d’années : « Cela ressemble (…) à la calligraphie orientale. Beaucoup de pages ont des encadrements (…) d’une finesse prodigieuse : fleurs, animaux, blasons, anges, paysages, ruines, coraux etc. ». Avec son sens de la formule, l’auteur des Oubliés et Dédaignés qualifie l’œuvre de Legrand : « un des monuments les plus étranges de la manie humaine ».

    l'internationale intersticielle,plutarque,michel foucault,henry-alexandre legrand,cryptographie,pierre louÿs,charles monselet

    Lien permanent Catégories : Hommes non illustres, Utopies 0 commentaire Imprimer
  • Le palazzo Marino

    On dit que c’est Le Minotaure, un tableau du peintre symboliste anglais George Frederic Watts, qui inspira à Jorge Luis Borges La Demeure d’Astérion, un texte qui figure dans L’Aleph.

    George_Frederic_Watts_-_The_Minotaur.jpg

    A L’Immortel, autre conte métaphysique de ce troublant recueil, on pourrait associer ce Palazzo enciclopedico del mondo de Marino Auriti, tant cette babelienne maquette d’un musée imaginaire abritant toutes les connaissances humaines fait monter de notre mémoire cette citation : « Ce palais est l’œuvre des dieux » pensai-je d’abord. J’explorai les pièces inhabitées et corrigeai : « Les dieux qui l’édifièrent sont morts ». Je notais ses particularités et dis : « Les dieux qui l’édifièrent sont fous ».

    marino encyclopediabig.jpg

    l'internationale intersticielle,jorge luis borges,george frederic watts,marino auriti

     

    Lien permanent Catégories : Microcosmes, Utopies 0 commentaire Imprimer
  • Le secret des soucoupes

    Les deux lettres martiennes du narrateur E.T. imaginé par Sophie Roussel dans les précédents posts de l’ii appellent quelques éclaircissements. Par sa façon d’inverser les points de vue, Sophie souligne la familiarité entre l’univers de l’étrange et celui, rural et banal, d’une petite communauté américaine d’un proche autrefois. C’est naturellement aux poétiques images d’Esther Pearl Watson qui ont servi de stimulant à sa fiction qu’elle le doit.

    au travail.jpg

    affiche upside down.jpg

     

    Comme dans Upside Down, le film de Juan Solanas où deux réalités symétriques se superposent, la peinture d’Esther Pearl Watson organise la rencontre de deux mondes qui ne sont pas fait à priori pour coexister, celui d’un intimisme bucolique, celui d’un âge d’or de la science-fiction.

     

     Rencontre ou retrouvailles car Esther Pearl, qui a grandi au Texas, a réellement vécu, du fait de son éducation baignée dans l’utopie paternelle, dans les interstices du rêve éveillé et de la réalité quotidienne. Cette position instable avait de quoi la mener au déséquilibre. Son étoile a voulu qu’elle la conduise à l’art par le biais d’une affinité à maints égards involontaire avec l’œuvre de Grandma Moses.

    grandma.png

    Le charme des tableaux d’E.P.W., empreint de la nostalgie des temps pré-Internet, ne procède cependant pas du pastiche. Ni de l’ufologie vulgaire. Ils n’ont pas cette naïveté. Même s’ils semblent s’apparenter aux ex-voto par les légendes qui y sont inscrites.

    légende.jpg

    Esther Pearl qui, comme beaucoup de fillettes américaines rédigea très tôt son journal, se fait, dans ces courts textes intégrés à des figurations, le témoin un peu perplexe des expériences follement scientifiques de son père.

    livre epw.jpg

     

     

    Elle comprit plus tard quand elle put donner un sens à sa vocation que Gene Watson, son père, qui avait consacré sa vie d’ingénieur aéronautique spontané à construire de chimériques soucoupes volantes qu’il rêvait de vendre à l’état, était lui-même un artiste sans le savoir.

    gene_watson_flying_saucer_sketch_by_startfurtusfarum.jpg

    croquis gene watson 2.jpg

    Ce qui place sa fille dans une position charnière originale, entre un art brut congénital et un caractère d’outsider acquis qui l’a menée à l’expression diariste dessinée et à un professionnalisme contemporain assumé parce que soclé sur un roman familial riche de contenu.

    maquette 2.jpg

    maquette 1.jpg

    diary grafic.jpg

    unlovable.JPG

    rouge lezard.JPG

     

    Lien permanent Catégories : Hommes non illustres, Peintures fraîches, Sciences imaginaires, Utopies 0 commentaire Imprimer
  • Les lettres E.Texanes-suite

    To : Us-bek (ThxC-734)

    From : Rica (Rswp-256)

    Subject : une transmission dans la langue indigène(2)

     

    pieces detachées 3.jpg

    Sinon, je me suis faite aux coutumes familiales. La recherche éperdue de pièces détachées toutes aussi {incongrues} les unes que les autres ou encore les opérations secrètes où l’on fait des repérages aux alentours de la maison.

    pieces detachées.jpg

    Mais ce qui me fascine le plus, ce sont les missions de reconnaissance. Il s’agit d’aller, à la nuit tombée, inspecter vaches et taureaux, avec la plus belle chose que nous ayons à disposition ici : une lampe de poche.

    vaches et lampes.jpg

    Quel objet sensationnel ! Je tâcherai de t’en rapporter une pour que tu voies la merveille. Rien de plus attrayant pour moi que ce faisceau qui éclaire une seule partie des choses, celle que l’on choisit.

    détail lampe.jpg

    Ici, les habitants semblent avoir survécu à plusieurs cataclysmes qui portent les mêmes prénoms qu’eux. Ils n’ont aucun doute quant à la fin prochaine de leur monde.

    après la cata.jpg

    Aussi cette petite famille s’acharne t-elle à préparer sa soucoupe volante pour le grand départ. Je les aide du mieux que je peux, sans dévoiler notre technologie. Ce qui me surprend beaucoup c’est que si je leur révélais qu’aucune galaxie - en l’état actuel de leurs connaissances - ne pourrait les accueillir, je pense qu’ils ne changeraient rien à leur comportement.

    maintenance soucoupe.jpg

    J’en viens au terme de mon observation. C’est comme si les humains étaient infra-lucides. Ce qu’ils savent de plus juste est enfoui au fond d’eux-mêmes. Il n’y a pas de {corollaire}, ni décision rationnelle et le même processus se poursuit toujours, {auréolé} d’une chose très singulière qui se nomme l’espérance. Ce sentiment nous est tout à fait étranger, ce qui explique que je sois complètement passée à côté. Cet espoir, je l’ai d’abord pris pour de la bêtise.

    saucer_family.jpg

    Te rends-tu compte que les noms de nos vénérables planètes figurent sur leurs barils de lessive ? A ce détail et à bien d’autres, je pense cette espèce n’a pas tort d’envisager pour elle le pire des {destins}. Je pense que les humains qui veulent survivre devraient aller habiter dans les caravanes qu’ils possèdent au fond de leur jardin.

    caravane.jpg

    Certains individus – à mon avis d’une intelligence supérieure – ont déjà pris place dans ces unités d’habitation réduite. Ils auront ainsi une infime chance de réchapper à la {catastrophe} qui me paraît inéluctable.

    caravane 2.jpg

    Une formule de chez eux pour finir :logo sophie.jpg

    Bien à toi

    R

    Lien permanent Catégories : Peintures fraîches, Rêveries fertiles, Utopies 1 commentaire Imprimer
  • Les lettres E.Texanes

    To : Us-bek (ThxC-734)

    From : Rica (Rswp-256)

    Subject : une transmission dans la langue indigène

     

    Cher U,

    Je ne t’ai pas écrit aussitôt car j’ai rencontré quelques difficultés d’adaptation dans ce pays de {cocagne} où les adultes sont des enfants comme les autres. Seule leur dimension diffère ce qui permet heureusement de les distinguer.

    famille.jpg

    En apparence, cette population n’est pas très évoluée. Elle a l’aspect d’une fourmilière mais avec une dynamique de dispersion sans aucune logique.

    halloween.jpg

    Débarquée dans cette petite ville (Texas) en pleine nuit, j’ai été aussitôt aveuglée par le scintillement des astres. Un {gruyère} de nuit morcelé d’étoiles trop rapprochées, comme si j’étais sous cloche. Avec la réverbération, j’ai eu l’impression d’avoir rétréci à la taille d’une figurine‑jouet. Étrange ciel dans lequel règne en permanence un vaisseau en forme de coquillage d’une couleur que je ne connaissais pas.

    nuit étoilée.jpg

    Après consultation du nuancier, il s’agit d’un rose pulp. Tu devrais voir ça, c’est étonnant ! Tous ici l’appellent soucoupe volante. Moi, cela m’évoque plutôt un de leurs organes génitaux cachés. Tu penses bien que cet aspect des choses leur passe au-dessus de la tête.

    Jusqu’ici, je n’avais pu me mêler vraiment à ces groupuscules que l’on qualifie de familles. Tu seras amusé d’apprendre comment j’y suis parvenue.

    une famillee.jpg

    Un matin j’ai trouvé sur le bord de la route deux jambes d’homme dépassant d’un véhicule à l’arrêt dont s’échappait de la fumée. Intriguée, je me suis approchée. Au début, je n’ai pas eu l’impression d’être utile car l’homme s’est montré contrarié que j’ai pu réparer sa voiture à la vitesse {de l’éclair}.

    panne de voiture.jpg

    Ce n’était pas très prudent, mais je n’ai pu résister : un jeu d’enfant comme ils disent ici quand c’est facile. Visiblement, l’homme était très déçu. J’ai cru comprendre qu’il espérait profiter de cette panne pour récupérer des pièces détachées de première importance. Il était très agité et parlait sans arrêt mais il m’a quand même ramenée dans sa famille en disant que j’avais des pouvoirs surnaturels.

    soucoupe  jardin.jpg

    Et là, surprise ! Dans le jardin, une autre de ces soucoupes volantes. Ces gens prétendent que c’est pour préparer leur futur, sauver leur avenir. Ils se sentent protégés car il n’est pas donné à tout le monde de capturer un engin pareil, de le maintenir au sol et le {domestiquer}.

    soucoupe attachée.jpg

    Ils m’ont raconté qu’une fois, ils ont eu un vaisseau-mère mais qu’il s’est échappé ce qui expliquerait pourquoi cette soucoupe est l’objet de toute leur attention. Moi, elle ne m’inspire pas confiance. Parfois, on la tracte en ville avec le {pick-up} pour montrer qu’on en possède une. C’est l’attraction du jour, les enfants courent derrière avec enthousiasme.

    soucoupe tractée.jpg

    à suivre ...logo sophie.jpg

    Lien permanent Catégories : Peintures fraîches, Rêveries fertiles 1 commentaire Imprimer
  • Peter Pan poix plumes

    img089.jpgAu rayon artistes anonymes, une histoire racontée par le poète fantaisiste Jacques Dyssord dans un article sur le « children corner », La Souveraineté de l’enfance paru dans le numéro 9 de Ce Temps ci (Cahiers d’arts contemporains), revue sur l’art décoratif.

    img090.jpg

    « Vous savez que Peter Pan a sa statue dans Kensington Gardens. Une nuit, un fou, pense-t-on, couvrit cette statue de poix et cette poix de plumes ».

    carte peter.jpg

    Aujourd’hui ce genre de performance paraîtrait banal mais on est dans les années trente et Dyssord poursuit : « Au matin, quand on s’aperçut de cette profanation, l’indignation de la foule fut telle qu’un véritable service d’ordre dût être organisé ».

    Lien permanent Catégories : Kitschounet 0 commentaire Imprimer
  • Coup de sifflet à Bruges

    sifflet dératisateur.jpgA vous couper le sifflet ! La preuve que la presse papier ménage toujours des surprises. Le Figaro et vous parcouru d’un œil distrait le mardi 8 mars 2016 dans une salle d’attente. Et soudain cet objet, populaire en haut, macabre au milieu et sauvage en pied qui vous saute à la figure. Un sifflet dératisateur. Image sorcière en plein milieu de l’article d’Éric Biétry-Rivierre, envoyé spécial à Bruges.

    Pour attirer l’attention du public français sur Les Sorcières de Bruegel, l’exposition de l’Hôpital Saint-Jean à Bruges (jusqu’au 26 juin 2016). « On raconte ici » nous dit E.B-R. « comment simplement à partir de de deux gravures du brabançon Pieter Bruegel, dit l’Ancien (né vers 1525 et mort en 1569), le stéréotype de la sorcière s’est trouvé définitivement fixé ».

    campagnebeeld_heksenvanbruegel.jpg

    L’iconographie disponible sur le net de cette expo « au charme noir » fait surtout la part belle aux estampes anciennes et aux tableaux de(s) David Teniers.

    david teniers.JPG

    Aussi faut-il applaudir Le Figaro pour son focus sur plusieurs objets de sorcellerie populaire ou destinés à la répression de celle-ci. Un talisman dans la dent d’un mort qu’on épinglait dans les langes des nourrissons.

    talisman.jpg

    Un trône d’infamie sculpté de crapauds, serpents et rats.

    manteau d'infamie.jpg

    On y installait de force les malheureuses accusées de relations avec le diable avant de les balader sur une charrette remplie d’ordures sous les invectives de la foule.

    coeur cloué.jpg

    Plus classique : un cœur modelé dans la cire et piqué d’épingles.

    figurine épingles.jpg

    Lien permanent Catégories : Expositions 0 commentaire Imprimer
  • Crocheteuse de choc à 104 ans

    Mrs Brett a la grâce. La grâce du crochet. La grâce des aiguilles. Une vie durant à tricoter c’est long. Surtout quand on a 104 ans comme Grace Brett. A 104 ans pourquoi s’arrêter ?

    Même si les bébés n’ont plus besoin de layette, même si leurs mamans ne mettent plus de châles, il reste les cabines téléphoniques pour leur faire des cagoules.

    cabine telephonique.jpg

    Les armoires sont pleines de napperons, les lits croulent sous les courtepointes, qu’à cela ne tienne ! Les bancs ont froid l’hiver. Pourquoi ne pas leur faire enfiler des paletots ?

    grace sur un banc.jpg

    Les cheminées ont bien leur dessus, les vieilles dames leurs dessous (roses). Et comme on est en Ecosse c’est toutes couleurs pétantes ! Grace semble n’en finir jamais de nouer et de renouer avec une tradition éprise de tartans, infiniment variants. De ses Scottish Borders, cette région située au sud du pays, entre Edinburgh et l’Angleterre, Grace Brett invente au fil du doigt les mâts totémiques.

    grace brett-piliers laine-tricot-2.jpg

    Bien sûr notre époque, enragée à tout réduire à des poncifs, l’enrégimente dans la catégorie fourre-tout du street art. Et c’est vrai qu’elle participe ingénument au phénomène du Yarn Bombing qui se généralise. Mais est-ce sa faute si toute idée créative ne tarde pas à faire l’objet d’une exploitation industrielle aujourd’hui?

    mur de laine.jpg

    Que voulez-vous, elle aime que ses travaux soient vus par l’homme du commun sur le chemin de l’ouvrage. C’est ce qui compte. Et puis elle trouve que la ville est plus belle comme ça. Elle n’a pas tort.

    D’une petite voix flutée, Grace commente son work in progress. Si la nature la laissait faire, elle tricoterait le monde entier pour le monde entier. Heureusement, elle est ancienne. On peut donc espérer qu’elle ne connaîtra pas la dégénérescence à laquelle ce type de pratique artistique collective est invariablement condamnée.

    rampe.jpg

    Encore un effort Grace par conséquent! Un bonnet de clocher peut-être ? Un cache-nez pour la lune ?

    grace brett,écosse,yarn bombing,tricot,art des rues,art des centenaires

    Lien permanent Catégories : Hommes non illustres, Kitschounet 1 commentaire Imprimer
  • Objets de hasard

    Sur les pierres de rêve, pourquoi ne pas rêver ? Attirés par le titre : Objets de hasard, nous nous sommes jetés dans l’arsenal délicieusement hétéroclite d’une vente aux enchères qui aura lieu le mercredi 16 mars 2016 à l’Hôtel Drouot. « Catalogue disponible » disait le site De Baecque, commissaire-priseur de l’événement. Pourquoi se gêner ? Nous voilà donc feuilletant d’un œil steeple-chase et d’un pouce à pilotage automatique les 60 pages d’une brochure à format humain qui regorge d’objets photographiés et légendés. Une demi-douzaine d’experts associent pour l’occasion leurs manches retroussées. Le territoire de la vente se situant aux croisements de l’archéologie, de la marine, des arts africains, océaniens, précolombiens, islamiques et populaires. Des masques, des statuettes, des bijoux, des outils, des maquettes…

    couv catalogue  vente de baecque.jpg

    Tout le contraire d’une autoroute. Rien que des chemins de traverse, des ramifications où l’on saute d’un sentier à un buisson. Une provocation à l’intersticiel ! La machine désirante s’est arrêtée pour nous sur le numéro 93. Un monolithe, sculpté à la serpe, du Nigeria que l’on dirait tombée de la lune. Au basalte volcanique qui a servi ici de matière première on doit évidemment beaucoup. C’est le genre de pierre qui ne permet pas les petits chichis perfectionnistes.

    n°93.jpg

    Aussi n’attire-t-il que les créateurs en possession d’un style évocateur et rustique dont l’expressivité figurative louche vers des contenus suggérés ou abstraits qui nous échappent. C’est le cas des fameux Barbus Müller ou des rudes œuvres de l’italo-auvergnat Joseph Barbiero. C’est aussi celui de cette pièce sortie de l’eau de la Cross River. S’il est permis de rapprocher des sculptures brutes, modernes et européennes avec des productions africaines et votives, datant peut-être du XVIe siècle.

    Certes, en cherchant un peu, nous ne pouvons ignorer que la pierre de la vente De Baecque, comme ses petites camarades qui sont proposées parfois par des galeries d’art premiers, peut être attribuée aux Ejagham (ou Ekoï) de la région frontière entre le sud-est du Nigéria et le sud-ouest du Cameroun. Ces pierres Akwanshi (« personne sous terre ») servant de marques de sépultures, la tradition se perpétue de les enduire de blanc ou de pigments lors de festivités. Ce qui leur vaut, paraît-il, d’être associées à la sorcellerie par les monothéismes actuels.

    La traçabilité affichée de notre numéro 93 ajoute son grain de mystère à la chose. Ce monolithe a appartenu à Francis Mazière (1924-1994), explorateur et conférencier adulé du public des années soixante.

    couv ile de paques.jpg

    Ses hypothèses, aussi aventureuses que ses expéditions, développées dans Fantastique île de Pâques son best seller, valurent à cet ethnologue trop médiatique ayant pris ses distances avec les anthropologues du Musée de l’Homme, l’opposition de la science officielle. La présence du monolithe 93 dans la Collection de Mazière nous incline cependant à y respirer ce parfum d’énigme qu’il y soupçonnait sans doute.

    rouge lezard.JPG

    Lien permanent Catégories : Machineries désirantes, Matières plastiques 0 commentaire Imprimer
  • Pipilotti vous fait une fleur

     

    pipilotti+rist.jpg

    Pipilotti va trop fort ? C’est ce que nous nous sommes demandé quand Ever is over all, magie à double détente de la vidéaste suisse Elisabeth Charlotte Rist, est tombée entre nos mains au hasard de nos maraudages dans la jungle du Net.

    Fallait-il l’expulser tout de suite pour crime d’art-contemporanéité congénitale ? Ou tenter de l’acclimater à notre territoire intersticiel ? Au sein du comité de rédaction de l’ii, le débat fut rude.

    Mais dans cette mise en scène d’une violente douceur il subsistait, presque 20 ans après sa création, quelque chose de trop décalé pour que nous ne courions pas le rist d’une adoption.Les Arts 2 cm.jpg

     

    Ever is over all (1997)

    Tirer la nappe sous le couvert. Foncer dans une vitrine de magasin avec un bolide lancé à pleine vitesse. Casser des bouteilles sur le mur du voisin. Etre cet éléphant sans vergogne dans une boutique de porcelaine, c’est mon rêve. Qu’il ne reste rien en un seul morceau, cela m’est proche.

    Cette femme inoffensive, regardez-là, avec sa robe de satin bleu vierge-Marie et ses chaussures rouges qui l’ont ensorcelée, il y a du Emily Watson dans son allure. Elle déambule dans la rue avec grâce, voltigeant presque. Elle brandit un drôle de sceptre avec lequel elle casse allègrement les pare-brise des véhicules stationnés.

    La bande son est aussi douce que son murmure intérieur car plus elle casse, plus elle jubile, et plus elle se sent bien. Elle agit comme une créature illuminée sous l’œil hagard de passants pas inquiets pour autant. Une femme flic lui fait même un petit signe de connivence comme si elle lui disait « chapeau ma belle ! ».

    La vidéo est projetée sur un mur à angle droit, l’action de face et, à l’équerre, une végétation luxuriante filmée en gros plan : traditionnels brins d’herbes ballotés par le vent, coquelicots agitant mollement leurs pétales de crépon. Tout est fluide et atemporel mais nous sommes captés par la séquence d’action et cette fleur de métal qui se prend pour une matraque. Agir comme une petite frappe en escarpins et robe d’azur, sans être aucunement arrêtée dans sa course, c’est un plaisir illicite de première force.

    logo sophie.jpg

     

    Lien permanent Catégories : Ecrans, Flonflons, Matières plastiques 0 commentaire Imprimer
  • Amigos et Barbudos

    Pour les amigos réfractaires à certaines de mes analyses au sujet des carottes trop cuites (voir mon post du 30 novembre 2015 Robillard Déco et ses commentaires), je me permets de conseiller la lecture de cette phrase qui prouve que je commence à ne plus être la seule de mon opinion : « Il serait dommage que l’art Brut perde son âme en cédant au quadruple écueil de l’art contemporain : la marchandisation, la personnification, la communication, et l’exhibitionnisme insatiable et obscène ».

    C’est Philippe Godin, l’auteur de cette remarque de bon sens. Elle figure en toutes lettres sur son blogue La Diagonale de l’art dans une note du 19 février 2016 intitulée La Confusion des genres.

    Dans le collimateur du blogueur philosophe, l’actuelle exposition caribéenne, « tout à fait exemplaire de certaines tentatives de récupération pour donner à l’art brut une proximité factice avec l’art contemporain » d’une galerie parisianouillorkaise.

    Galerie que je ne nommerai pas. Par souci de ne rien faire qui puisse nuire à l’économie de la patrie des barbudos après la visite officielle du camarade Raul à l’Élysée au début de ce doux mois de février 2016.

    logo ani.jpg

    Lien permanent Catégories : Fleurs de cactus, Les carottes sont cuites, Les mots pour le dire 8 commentaires Imprimer
  • Donald et les Nazis

    En prolongement de la note précédente et au moment où les rééditions critiques d’un maudit bouquin (récemment tombé dans le domaine public) tournent au best seller, voici : Der Fuehrer’s Face, un dessin animé de 1943.

    Ce qui prouve qu’on peut se battre avec Disney et pas toujours contre.

    « Intellectuel, non ? » aurait dit Pierre Desproges.

    Et même interstiCiel en quelque sorte.

    Lien permanent Catégories : Ecrans 2 commentaires Imprimer
  • Résister en alexandrins

    Résister en alexandrins. Ça paraît aujourd’hui dérisoire. C’est pourtant la gageure que soutint une Poitevine durant la nuit de l’Occupation. Claire Pope dont on ne sait rien, si ce n’est qu’elle fut enseignante, publie à la fin de 1945, à compte d’auteur, un curieux livre. L’Orgueil ou le rêve de Hitler se présente comme un « poème dramatique en 5 actes et 12 tableaux ».

    couv claire pope.jpg

    Au milieu des milliers de témoignages qui, la paix revenue, voient le jour, une tragédie sur Hitler fait figure d’exception par la nature même de sa forme littéraire. L’action se passe à Berchtengaden, le nid d’aigle de la vipère nazie que les Alliés viennent de détruire. Les personnages ? Hitler et Lucifer, Goebbels, Goering, Himmler, Mussolini, une secrétaire, un docteur, un huissier audiencier. Tous ces mannequins s’expriment avec des accents cornéliens ou raciniens tant Claire Pope semble imbibée de dramaturgie classique. 86 pages héroïco-naïves, des milliers de vers scandant l’irrépressible chute d’un projet diabolique au milieu des crimes et des atrocités :

    « Immobile et glacé, saisi, tremblant de peur

     Je crois devenir fou d’épouvante et d’horreur »

    L’auteur dans son avant-propos célèbre la mémoire de Louis Toussaint, professeur au Collège Moderne de Poitiers, déporté et assassiné en Allemagne. Déjà en 1941, Claire Pope avait composé des chansons stigmatisant les occupants qu’elle faisait lire à son entourage (ce qui n’était guère prudent). La disparition de Toussaint, cet ami résistant, précipite sa  fureur poétique.

    dédicace c pope.jpg

    Dès la fin de 1942 elle entreprend d’écrire son poème dramatique. Ne disposant pour se documenter que de la propagande de l’ennemi, elle est amené à se servir de matériaux oniriques : rêves sous forme de récits, hallucinations visuelles et auditives d’un dictateur plein d’orgueil plus cruel que le démon dont il est le pantin.

    L’inconscient certainement montre ici le bout de son nez. Claire Pope à l’irrationnel semble accorder par ailleurs quelque crédit quand elle écrit, à propos du sinistre Adolf qu’il est « tout naturel que le doute ait plané et plane encore sur le mystère de sa disparition ou de sa mort ».

    Les caractères Art-déco de la typographie utilisée sur la couverture contrastent bizarrement avec le contenu de cet ouvrage. Une petite vignette représentant Gutenberg figure au dos.

    pope marque imprimeur.jpg

    C’est celle de l’imprimeur : A. Chopin à Lezay dans les Deux-Sèvres. Pour la petite (et pour la grande) histoire, il faut souligner que cet artisan fournissait pendant la guerre de faux-papiers à la Résistance dont Claire Pope incarne un interstiCiel visage.

     

    l’orgueil ou le rêve de hitler,claire pope,louis toussaint,a. chopin imprimeur,la résistance,deux-sèvres,poitou

    Lien permanent Catégories : Les mots pour le dire 2 commentaires Imprimer
  • Les bleus de Martin-Roch

    Jean Martin-Roch et Pierredon. Qu’il y ait encore au bout des chemins, des lieux tels pour de tels artistes laisse rêveur. Des lieux d’au delà du langage, refuges d’une peinture silencieuse comme cette Provence de transhumance, rescapée des incendies.

    Abbaye Ste Marie de Pierredon.jpg

    Quarante ans durant, de 1951 à 1991, dans un quadrilatère sauvage situé dans les Alpilles, le peintre Martin-Roch (1905-1991) travailla à son œuvre et à la rénovation d’une abbaye qui abrita son atelier.

    P1090376.JPG

    On y accède encore par une longue piste caillouteuse dissimulée de la route qui va de Maussane à Eygalières. Sans savoir où l’on va. Sans autres témoignages de civilisation que ces oliviers qui moutonnent, que ces vignes dont les lignes courent sur la terre.

    P1090329.JPG

    Au bout du bout un arbre rouge, sculpture de Miguel Chevalier : fanal posé par les actuels occupants de cet endroit dont ils respectent la poésie.

    P1090341.JPG

    P1090346.jpg

    jean martin-roch,pierredon,peinture métaphysiquealpilles,musée estrine,saint rémy de provence

    Il signale la vénérable allée qui mène à l’ancienne Thébaïde de Jean Martin-Roch dont on aperçoit très tard les toits.

    P1090339.JPG

    Le bleu des paysages de Martin-Roch –un bleu qu’on pourrait croire irréel s’il ne saturait l’air– nous a amenés là.

    pierredon.jpg

    Charles-Albert Cingria qui a connu le peintre dans sa jeunesse se souvient des cravates d’un « blanc de fine neige » dont le peintre ornait ses chemises…bleues.

    couv cata martin roch.jpg

    Ce détail est emprunté au catalogue de l’exposition Jean Martin-Roch, les chemins du silence au Musée Estrine de Saint-Rémy de Provence qui, à la fin de 2014, remit très judicieusement en lumière l’œuvre de cet artiste méditatif et confidentiel, tranquillement à l’écart de toute influence avant-gardiste ou mondaine.

    jean martin roch.jpgMartin-Roch pour travailler affectionnait les blouses gothiques. Lydia Harambourg (La Gazette Drouot du 7 novembre 2014) remarque à juste titre que « sa peinture atemporelle, se réfère à Giotto et à Fouquet (…) ».

    portrait medieval.jpg

    A Piero Della Francesca pourrait-on ajouter si celui-ci était contemporain de Giorgio de Chirico. Isolées dans une campagne lunaire hérissée de troncs tordus, les demeures de Martin-Roch ont cette densité du vide obtenue avec d’autres moyens par Georges Malkine.

    Martin-Roch1.png

    Mais c’est assez pointer ce qu’il est convenu d’appeler la peinture métaphysique. Martin-Roch expérimente d’autres dimensions du secret, explore d’autres frontières de l’indicible.

    img013.jpg

    Nul syncrétisme ne rendrait compte de son captivant pouvoir de retrait, de son lâcher prise, de son indifférence philosophique aux sirènes contemporaines.

    ste victoire musee estrine.jpg

    De sa peinture, Jean Martin-Roch parlait peu.

    Il « n’aime guère que d’autres en parlent, même en bien » souligne Paul Barnaud.

    « Sa nature l’a gardé à l’écart des milieux artistiques » (Claude Tollari-Martin).

    img015.jpg

    Même si de nombreux visiteurs empruntaient le chemin de Pierredon pour le rencontrer, il ne vendait ses tableaux qu’à un petit cercle d’amis et d’amateurs éclairés dont il avait pu tester la compréhension.

    jean martin-roch,pierredon,peinture métaphysiquealpilles,musée estrine,saint rémy de provence

    Lien permanent Catégories : Matières plastiques, Peintures fraîches 1 commentaire Imprimer
  • Hrabal et l’art du rail

    A la mort de son oncle, cheminot à la retraite qui faisait fonctionner une locomotive dans son jardin, Hanta, le narrateur d’Une trop bruyante solitude, le roman de Bohumil Hrabal, ouvre un placard… « La collection était bien là, cette collection que mon oncle me montrait si souvent sans provoquer mon intérêt, des boîtes remplies de ferraille multicolore ; quand il travaillait à la gare, mon oncle s’amusait souvent à mettre sur les rails de petits bouts de cuivre, de laiton, de fer, d’étain et d’autres métaux encore ; après le passage d’un train, il ramassait des formes bizarres et martelées qu’il assemblait le soir, en cycles ; chaque fragment avait un nom selon les associations d’idées qu’il faisait naître, on aurait dit une collection de papillons d’Orient, des boîtes de bonbons vides, pleine de papier d’aluminium bariolé. Je les versai, une à une, dans le cercueil de mon oncle, le recouvrant de cette précieuse quincaillerie, les croque-morts fermèrent le couvercle, et mon oncle put reposer comme un haut-dignitaire (…) ».

    couv hrabal solitude.jpg

    Les personnages de Hrabal sont appréhendés par de menus détails, féroces et tendres, avec un poil d’amusement, toujours bienvenu. Quelque chose de malicieux et de désenchanté - à l’équilibre. On passe ainsi, avec fluidité, du burlesque à l’humour noir, de la contingence de la misère humaine à la superbe des gens de rien.

    Hanta travaille par exemple dans une cave sordide avec une vieille presse en surchauffe permanente. Sa fonction : détruire livres, papiers & emballages en divers genres et former de gros cubes de papier recyclé qui s’en repartent on ne sait où. Mais Hanta est du genre revêche, son patron le trouve tire-au-flanc.

    Il ne peut s’empêcher de lire, grappiller et sauver certains imprimés de la destruction. Pour se venger du destin, il insère avec délectation -façon mille-feuilles- dans un lot de littérature de propagande nazie ou dans des emballages de boucherie putrides les plus belles pages des philosophes éternels.

    Dans la vraie vie, Bohumil Hrabal écrivait assez peu à l’intérieur de son logis.

    bohumil-hrabal le roi.jpg

     Plutôt qu’une table de cuisine dont on débarrasse les restes à la hâte ou un bureau d’écrivain, encombré de livres et de paperasses, Bohumil préférait le toit de sa maison. Il y avait installé une ingénieuse petite table tenant à l’horizontal grâce à deux pieds taillés pour la pente. Quand son séjour en plein air s’éternisait, sa femme lui faisait passer boissons et victuailles par la lucarne au moyen d’un panier ! Ainsi perché, c’est la ville de Prague qui se déployait sous ses yeux.

    Bohumil Hrabal,Une trop bruyante solitude,littérature tchèque,

    Bohumil Hrabal,Une trop bruyante solitude,littérature tchèque,Prague

    Lien permanent Catégories : Matières plastiques 0 commentaire Imprimer