Appliqué à la vie, le parallélisme a tout pour plaire. Surtout quand il se présente, non sous le masque austère d’un vieux philosophe romain mais sous la plume du regretté Michel Foucault : « Ce serait comme l’envers de Plutarque : des vies à ce point parallèles que nul ne peut plus les rejoindre ». J’emprunte cette phrase évocatrice à la quatrième de couverture d’un trapu petit livre bleu ciel publié en 1979 par Gallimard : Le Cercle amoureux d’Henry Legrand.
Foucault présentait là une collection : Les Vies parallèles qui n’eut, après la guerre, que deux titres. C’est dommage. Celui-ci, qui traite de l’étrange manuscrit-fleuve d’un architecte cryptographe du milieu du 19e siècle, augurait bien. Mais l’écriture chiffrée n’a sans doute jamais été rentable pour un éditeur.
Aussi s’y mirent-ils à deux pour offrir au public des années disco un aperçu sur les 39 volumes de cet extraordinaire opus (agrémenté de nombreux dessins à la plume) conservé à la Bibliothèque nationale.
Parallèlement -si j’ose dire- à l’édition Gallimard, Christian Bourgois publiait, la même année, Adèle, Adèle, Adèle, en référence à la mystérieuse Adèle de M., présidente de la société secrète dont Legrand était le seul membre masculin. Soit dit sans grivoise allusion bien qu’il fût aussi l’amant des neuf femmes, aristocrates et bisexuelles, composant avec lui le Cercle.
L’histoire on le voit avait de quoi, intéresser Pierre Louÿs et il s’y intéressa. D’abord en faisant l’acquisition en 1907 de cet ouvrage à caractère partiellement érotique. Ensuite en découvrant le chiffre permettant d’en comprendre le contenu.
Aussi est-ce Paul-Ursin Dumont, un spécialiste de Pierre Louÿs, qui avec le concours de son fils Jean-Paul Dumont, professeur d’ethnologie, transcrivirent et documentèrent les extraits des manuscrits d’Henry Legrand contenant ses mémoires et relatant sa vie secrète au sein d’une cour d’amour en parfait contraste avec la société bourgeoise à laquelle il appartenait.
La collection de manuscrits de Legrand de Beauvais (c’est ainsi qu’on le désigne souvent), seraient d’une grande perfection. Selon Charles Monselet (1825-1888) ils représentent le travail d’une dizaine d’années : « Cela ressemble (…) à la calligraphie orientale. Beaucoup de pages ont des encadrements (…) d’une finesse prodigieuse : fleurs, animaux, blasons, anges, paysages, ruines, coraux etc. ». Avec son sens de la formule, l’auteur des Oubliés et Dédaignés qualifie l’œuvre de Legrand : « un des monuments les plus étranges de la manie humaine ».