En marche devenu le mot du jour, l’ii pense aux marcheurs. Elle n’a eu que quelques pas à faire pour retrouver la trace de l’un d’eux. Quelques pas vers sa bibliothèque où dormait le mince catalogue d’une exposition du Musée régional Laure Conan, ancêtre du Musée de Charlevoix à La Malbaie-Pointe-au-Pic. Exposition consacrée en 1981 à trois héros populaires québecois du début du vingtième siècle dont Le Trotteur Alexis Lapointe (1860-1924).
Comme le Petit Hans, le patient du Dr Freud, Alexis entretient avec le cheval un rapport privilégié. Mais si Hans avait une phobie de l’animal, Alexis, très jeune, s’efforça d’imiter celui-ci. Certains diront que c’est pareil. D’autant que des coups de fouet viennent renforcer le parallèle entre les deux garçons. Ceux que Hans vit administrer à un cheval par un cocher. Ceux dont Alexis se gratifiait lui-même avant d’entreprendre une de ces courses qui le rendirent mémorable dans son pays. Grand voyageur, Alexis Lapointe, qui fabriquait pour vivre des fours à pain, parcourait la vallée de la Matapédia et la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean.
Le Musée d’Histoire du lac-Saint-Jean d’Alma lui a d’ailleurs rendu hommage en 1999 en le qualifiant d’athlète-centaure. Car c’est surtout pour ses exploits physiques, plus encore que pour ses qualités d’amuseur public et de musicien itinérant qu’Alexis le Surcheval a mérité la notoriété. Alexis adorait se mesurer à la course avec des chevaux mais il courait aussi contre des automobiles et même des trains. Sa fin tragique – il mourut dans un accident du travail sur un chantier ferroviaire – fut d’ailleurs ajoutée à sa légende.
Coutumier de bonds prodigieux, Alexis Lapointe savait transposer son labeur en activité dyonisiaque. « Plutôt qu’avec ses mains, il piétinait la glaise de ses fours en dansant » relate Serge Gauthier, auteur du catalogue du Musée Laure Conan. Ce détail et le fait qu’Alexis, enfant, aimait à faire imaginairement courir des chevaux de bois qu’il fabriquait lui-même attestent chez cet original (qui ne se fixa jamais) une conduite artistique ingénue. L’exemple du grand Arthur Cravan n’est-il pas là pour nous convaincre que l’art et le sport peuvent se confondre ?
Formidable marcheur qu’Alexis Lapointe. Marcheur contre son père. Son père qui ne le trouvait pas « assez fin » pour l’accompagner sur un bateau en partance pour Chicoutimi. L’ethnologue Marius Barbeau a relaté comment, trottant à travers bois durant 140 km, Alexis réussit à devancer l’auteur de ses jours. Non sans avoir pris soin auparavant de se fesser lui-même d’une badine soit-disant pour stimuler ses muscles.
Retour au Petit Hans. Rattraper-dépasser le père (fouettard ?). Se pourrait-il qu’on marche toujours contre son père ? Dans le doute, « marchons, marchons » comme dirait Rouget de Lisle.