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Les mots pour le dire - Page 3

  • André de Richaud sur le feu

    richaud rouge.pngAndré de Richaud au feu fait sa part.

    Dans un recueil de nouvelles publié par Le Temps Qu’il Fait en 1986, une phrase comme une étincelle donne le départ à un nouveau foyer interstiCiel : « Mais tout flambe dans le monde comme tous mes récits veulent flamber en poèmes ».

    Quelle meilleure clé de l’œuvre de Richaud que cette phrase de Richaud ?

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    En cet été d’autos de pompiers sillonnant les routes du Comtat, du Luberon et des Alpilles, cette phrase se hisse à la hauteur baroque d’un vers de Jean de Sponde couvant dans ma mémoire : « N’est-ce donc pas assez que je sois tout en flamme ».

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    La nuit en Provence fournit parfois le spectacle d’un brasier dansant à des dizaines de kilomètres. Remonte alors de notre esprit le souvenir soufré de médiévales dévastations, de catastrophes naturelles ou morales d’un autre temps. Cités incendiées, mur de peste, chagrins d’enfance.

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    L’insomnie ainsi propagée, le déboussolage propice à la lecture d’André de Richaud peut faire son effet. C’est le moment de se plonger dans Le Feu, une des six nouvelles de La Part du diable. Richaud, dans la veine fantastique et rurale qui lui est propre, y chronique la foudre imaginairement. Celle tombée d’un orage romantique qui a la violence d’un pays dont le Ventoux est le Fuji.

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    Le père d’Hubert le facteur -personnage central du récit- en un éclair fut emporté quand son fils avait 5 ans. On retrouva sa « peau boucanée, étendue sur la maîtresse branche d’un chêne comme une chemise à sécher ». Que faire de la dépouille ? La porter en procession à la veuve. Non sans admirer au passage le tour de main du ciel : « Souple et toute dorée, la peau avait été décollée par un artiste (...) fendue du sommet du crâne à l’anus suivant la colonne vertébrale ».

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    S’insère alors dans cette histoire complexe et nourrie d’éléments biographiques transposés un épisode où la cruauté, le scabreux, l’humour noir et le fétichisme morbide s’emboîtent. La mère d’Hubert et sa tante Clara s’emploient à redonner figure humaine au cadavre avant de l’enterrer. En le rembourrant avec de la laine prélevée dans un matelas éventré. « Quand le cadavre fut bien rebondi -les fesses faisaient plaisir à voir-, les deux femmes (...) cousirent le tout, tapèrent un peu du plat de la main comme on le fait aux édredons et retournèrent la poupée. « Oh ! Marie !...» s’écria la tante Clara qui n’était pas mariée, en rougissant. Marie avait passé la laine jusque dans les plus petits recoins sans prendre garde à ce qu’elle faisait. »

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  • Ernst Herbeck, Der Mannmensch

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    navratil.jpgAu Gugging, à ses chers schizos Léo Navratil dispensait de temps à autres une incitation à la création.

    herbeck portrait.jpgPour Ernst Herbeck qui se sentait comme un corps étranger dans la société et dont les rares paroles étaient, selon lui, « téléguidées » par une hypnotiseuse, le psychiatre un jour propose (avec un bristol de la taille d’une carte postale) ce thème : La mort.

    Ernst alors écrit :

    La mort un jour s’est immiscée.

    et aux morts a volé la vie.

    ainsi la mort comme alors s’est effacée.

    et aux morts offrait à nouveau

                                                        la vie.

    La version originale figure dans les 100 Poèmes / Gedichte, un petit livre rouge publié chez Harpo & en 2002

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    Der Tod kam einst einhergeschlichen.

    und raubte den Toten das Leben.

    so ist der Tod wie einst verblichen.

    und schenkte den Toten wieder

                                                      das Leben.

    Pour transposer en français les formes linguistiques originales dont Herbeck usait dans ses écrits, il n’a pas fallu moins de 5 traducteurs : Eric Dortu, Sabine Günther, Pierre Mréjen, Hendrik Sturm, Bénedicte Vilgrain. Cela valait la peine. On le sent bien. Surtout les jours où, comme l’écrit Ernst Herbeck dans un autre poème :

    La révolution est finie

    le temps est passé,

    et le fusil maudit.

    pourtant la GUERre    va

                                          son train.

    « Doch der KRIEg    geht weiter » C’est un halluciné lucide dont on entend la voix. Un écrivain qui, selon Navratil, « ne corrigeait pas, ne retravaillait pas ses textes, ne les conservait pas, ne choisissait pas ceux qui seraient publiés ».

    Un poète qui, à propos de la poésie, disait : « c’est seulement passager chez l’homme ».


    La particularité d’Ernst Herbeck c’est l’écrivain allemand W.G. Sebald qui a su le mieux nous la  transmettre : « Au moment de se quitter Ernst Herbeck éleva son chapeau et, debout sur la pointe des pieds, légèrement penché en avant, fit un mouvement circulaire, pour qu’au retour son chapeau regagne sa tête, le tout comme un jeu d’enfant et l’effet d’un art difficile tout à la fois ».

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  • Disparu ou mystérieux le Rebell de Boisson

    Disparus ou ... mystérieux. Autant dire interstiCiels. Avec ces points de suspension surtout. Brèche où le lézard du sens s’insinue.

    collection.JPGComment ne pas être interpellé par une collection littéraire qui porte un tel titre ? Même si elle date des années trente du siècle dernier. Même si elle compte peu de titres.

    Marcel Seheur, son éditeur, aimait les graveurs sur bois. Jean-Paul Dubray, le directeur de la collection était graveur. Jean Lébédeff, l’illustrateur de la couverture du Hugues Rebell intime, fut un des plus actifs artistes du livre de l’entre-deux guerres.

     

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    Rebell est un personnage dont on ne sait jamais qui le connait. Mieux vaut à son propos renvoyer aux sources qui ne manquent pas. Car, quand on se risque à vouloir présenter cet écrivain d’un paganisme nietzschéen porté à l’érotisme, on ignore si on ne va pas enfoncer une porte ouverte aux yeux des happy fews férus de fin de siècle.

    Marius Boisson servit de nègre à Hugues Rebell à la fin de sa vie. L’auteur de La Nichina ou des Nuits chaudes du Cap français, avait recours (selon les bonnes recettes de la littérature populaire) à ce genre de collaborateurs occasionnels. Le Rebell de Boisson n’est pas l’esthète décadent et voyageur qu’il fut dans sa jeunesse. 

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    Cet excentrique nantais qui se vêtait d’une soutane de cardinal pour écrire des romans d’une polissonnerie teinté de perversion 1900 nous apparaît plutôt comme un martyr de l’écriture alimentaire, empêtré dans ses combines avec les éditeurs. Harcelé par les créanciers, les maîtres chanteurs et la maladie. Acharné à sauver sa bibliothèque de livres précieux du désastre final.

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    Mais là n’est pas notre propos. L’ouvrage de Marius Boisson reproduit (en noir hélas) 3 aquarelles d’Hugues Rebell dont une d’une pornographie confuse et tumultueuse où se décèle une influence symboliste derrière la désinvolture de l‘exécution  assumée sans souci d’enrobage.

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    Pour la petite histoire, il faut se rappeler que Rebell faillit épouser la fille du graveur Félicien Rops. Extrait d’un manuscrit de flagellation – sujet sur lequel Rebell se pencha sous pseudonyme dans un livre de 1905 (Le Fouet à Londres) – cette image rustaude et explicite a figuré chez Christie’s dans une vente en 2014.

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  • Tchad en 24 dessins

    Ils s’appellent Abba Kabir, Mohamed Bessallah, Ab-del-Kader. Personne à leur sujet ne se pose la question : que sont-ils devenus ? Ils avaient entre 7 et 14 ans dans les années vingt du vingtième siècle. Au moment où leurs dessins furent recueillis par Denise Moran qui les publia dans Tchad, un livre ethno-biographique paru chez Gallimard en 1934. Et bien oublié depuis.

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    La plupart y sont désignés par un simple prénom : Zacharia, Doungouss, Yalinga, Hadoum, Hamidé, Bourma. Quelques adultes aussi parmi eux. Choisis parce que débutants : Mohamed Damba (20 ans), Malloum Mohamed (30 ans), Mohamed Faki (20 ans) qui « n’avait jamais dessiné ».

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    Où êtes-vous, artistes sans le savoir, créateurs sans peine, innocents magiciens de la forme ? N’était votre absence de notoriété, le bon grain de vos noms ne mériterait-il pas de s’intégrer dans un chapelet où Vassily Kandinski, Paul Klee, Gaston Chaissac, Jean Dubuffet se comptent déjà ?

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    Perles sauvages, perles cultivées en liberté. Les premières se distinguant par leur rareté. Les secondes par leur superbe indifférence au calibrage de la pensée.

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    Il est significatif que cette suite de 24 dessins à l’état natif ait été insérée dans un livre qui contient des vérités sans détour. « Coloniser est insoluble et criminel » (page 233) ne craint pas d’affirmer Denise Moran qui accompagna Edmond Savineau, son époux, en Afrique où il était administrateur.

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    Fondatrice de plusieurs écoles, sa connaissance du terrain ne se borne pas à des rapports scientifiques. Elle témoigne avec une lucidité indépendante du quotidien révélateur des rapports sociaux et mentaux entre Noirs et Blancs.

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    De l’incompétence, de la bêtise, de l’alcoolisme et de la brutalité des colons surtout. Mais aussi des moyens plus ou moins bons (quoique puisés dans leur langage, leur religion ou leur culture) que les Africains se voient contraints de leur opposer.

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    C’est par le constat de ce quiproquo tragique, de cet écart constitutif, que le livre de Denise Moran mérite dans nos bibliothèques de trouver sa place près de L’Afrique fantôme de Michel Leiris.

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    C’est aussi pour cela qu’il mériterait d’être réédité.

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  • Jacques-B Brunius sort de l’ombre

    Le Brunius du Sandre est arrivé. Jacques-Bernard Brunius c’est ce grand type en maillot rayé et moustaches en guidon de vélo qui canote dans La Partie de campagne de Jean Renoir. Il a laissé de lui cette image de faune qui danse autour de l’émoustillée madame Dufour interprétée par Jane Markel.

    Aérien, classieux et drôle à la fois. Échalas léger. Grande tige flexible. Roseau spirituel. Tout pour s’illustrer dans le registre du fugace. De ces seconds rôles qui participent si bien de l’ambiance des films qu’on finit par en oublier le nom des acteurs qui les incarnent.

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    Brunius. Brunius dont la carrière sur les écrans a éclipsé les autres talents de : réalisateur, poète, critique d’art et de littérature, essayiste, traducteur. D’homme de radio et de collagiste aussi. Toutes activités rondement menées, à cheval sur la France et l’Angleterre où il resta après la guerre qui le vit prendre -lui si peu gaulliste- une part active dans les émissions anti-nazis de la BBC.

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    Activités variées où il sut préserver ce « côté improvisé, amateur, dilettante » que Renoir admirait dans son jeu. « Touche-à-tout de génie » selon André Breton dont Brunius qui se situait dans l’orbite gravitationnelle du surréalisme était le correspondant fidèle.

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    "Ma main". Dessin de Brunius (1949)

    Mais il faudrait ôter de cette expression ce qu’elle conserve de péjoratif. Toucher à tout, dans le cas de Brunius, c’était non seulement donner libre cours à une curiosité insatiable, c’était aussi s’inscrire dans une position par nature risquée (pour ne pas dire interstiCielle). Celle où les autres restent désorientés de ne savoir vous cibler.

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    Cet éclectisme assumé, en accord avec ce dandysme britannique dont Brunius cultivait le genre vestimentaire, trouve son emblème dans le titre Violons d’Ingres qu’il donna en 1939 à son documentaire pionnier sur le Facteur Cheval et d’autres créateurs spontanés comme Auguste Corsin d’Etampes ou Angelina Opportune Leverve de Semur-en-Auxois. Il eut cependant l’inconvénient de flouter l’image de cette figure du cinéma dont l’œuvre restait méconnue du fait de sa dispersion dans les revues, les journaux, où Brunius publiait.

    Aussi faut-il tirer son béret français aux Éditions du Sandre qui prennent l’initiative de faire remonter à la surface, grâce au travail de Grégory Cingal et Lucien Logette, un choix riche et significatif de textes bruniusiens oubliés. L’ouvrage de 542 pages ressemble à un petit coussin dodu.

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    Mais il ne faut pas s’affoler. D’abord parce qu’il contient un index, une table et une présentation très commode. Ensuite parce que l’ordre chronologique suivi facilite le repérage. Les maniaques s’agaceront du temps qu’il faudrait prendre pour en faire une consommation systématique. Mais les adeptes d’une lecture diagonale adaptée à la démarche primesautière de Brunius y trouveront leur chemin. En privilégiant par exemple les témoignages, les lettres à sa fille (aussi émouvantes que celles de Breton à Aube), les déclarations ou les réponses à des enquêtes… Et en se laissant distraire par tout relief que leur œil rencontrera.

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  • Dans le noir à perte de vue

    A la brocante j’ai hésité à l’acheter. La couverture était si déprimante. Une odeur de misère collée au cliché sans concession de Corinne Simon.

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    Mais Les Naufragés est un livre estampillé Terre Humaine. Un titre de cette Collection dirigée par Jean Malaurie ça ne se refuse pas. Ni Soleil hopi, ni Rois de Thulé cependant. La rage, la nausée, la lourde obscénité, le puits d’angoisse. Tout le monde déteste car tout le monde est interpellé. La puanteur humaine qui monte par bouffées chaudes. Parfum de métro, de chiotte, de dortoir.

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    La réalité émane de ces pages de Patrick Declerck. Lecture par petits bouts. Non seulement parce que le témoignage de cet ethnologue-psychanalyste sur son expérience de consultant au Centre d’accueil et de soins hospitaliers de Nanterre est éprouvante mais parce qu’on se reprocherait presque d’être captivé par ce texte bien écrit.

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    Puis, au milieu de ce journal de terrain avec les clochards de Paris, cette perle baroque : un chapitre qui relate la trajectoire d’un certain Marc P., victime d’un grave accident de vélomoteur à 19 ans, témoin de l’assassinat de son père par sa mère dans son enfance. Alcoolique, bagarreur, accro au couteau, aux calibres.

    Auteur d’une production littéraire et artistique aussi. « (…) Ce qu’il écrit, il le jette. Ce qu’il peint il le brûle ». Patrick Declerck a vu deux de ses tableaux : « (…) cris muets de cadavres dans la nuit, ils n’étaient que psychose et désastre ».

    Subsistent en revanche 4 manuscrits sauvés par une infirmière et dont Declerck publie 7 importants extraits.

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    Dans le dernier de ceux-ci, les mots, « confinent par instants à l’étrange beauté des derniers textes de Beckett ». Comment ne pas être ému d’y lire ceci : « Le noir, toujours le noir à perte de vue, subitement j’entendis au fond de moi-même un long et pénible sifflement continu. (…) Puis d’un coup, avec étonnement, je ressentis de même une espèce de pression (…) comme atmosphérique (…), une certaine unité de pression étouffante et bienfaisante (…). Et je ne sais d’où provient cette métastase, en mon interstice qui, lui, se situerait dans mon hémisphère cérébral (…). C’est comme cela que je l’ai appelé interstice car cela veut dire réellement petit espace vide, oui vide entre les parties d’un tout, et ce tout en question est le mien. »

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  • Amigos et Barbudos

    Pour les amigos réfractaires à certaines de mes analyses au sujet des carottes trop cuites (voir mon post du 30 novembre 2015 Robillard Déco et ses commentaires), je me permets de conseiller la lecture de cette phrase qui prouve que je commence à ne plus être la seule de mon opinion : « Il serait dommage que l’art Brut perde son âme en cédant au quadruple écueil de l’art contemporain : la marchandisation, la personnification, la communication, et l’exhibitionnisme insatiable et obscène ».

    C’est Philippe Godin, l’auteur de cette remarque de bon sens. Elle figure en toutes lettres sur son blogue La Diagonale de l’art dans une note du 19 février 2016 intitulée La Confusion des genres.

    Dans le collimateur du blogueur philosophe, l’actuelle exposition caribéenne, « tout à fait exemplaire de certaines tentatives de récupération pour donner à l’art brut une proximité factice avec l’art contemporain » d’une galerie parisianouillorkaise.

    Galerie que je ne nommerai pas. Par souci de ne rien faire qui puisse nuire à l’économie de la patrie des barbudos après la visite officielle du camarade Raul à l’Élysée au début de ce doux mois de février 2016.

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  • Résister en alexandrins

    Résister en alexandrins. Ça paraît aujourd’hui dérisoire. C’est pourtant la gageure que soutint une Poitevine durant la nuit de l’Occupation. Claire Pope dont on ne sait rien, si ce n’est qu’elle fut enseignante, publie à la fin de 1945, à compte d’auteur, un curieux livre. L’Orgueil ou le rêve de Hitler se présente comme un « poème dramatique en 5 actes et 12 tableaux ».

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    Au milieu des milliers de témoignages qui, la paix revenue, voient le jour, une tragédie sur Hitler fait figure d’exception par la nature même de sa forme littéraire. L’action se passe à Berchtengaden, le nid d’aigle de la vipère nazie que les Alliés viennent de détruire. Les personnages ? Hitler et Lucifer, Goebbels, Goering, Himmler, Mussolini, une secrétaire, un docteur, un huissier audiencier. Tous ces mannequins s’expriment avec des accents cornéliens ou raciniens tant Claire Pope semble imbibée de dramaturgie classique. 86 pages héroïco-naïves, des milliers de vers scandant l’irrépressible chute d’un projet diabolique au milieu des crimes et des atrocités :

    « Immobile et glacé, saisi, tremblant de peur

     Je crois devenir fou d’épouvante et d’horreur »

    L’auteur dans son avant-propos célèbre la mémoire de Louis Toussaint, professeur au Collège Moderne de Poitiers, déporté et assassiné en Allemagne. Déjà en 1941, Claire Pope avait composé des chansons stigmatisant les occupants qu’elle faisait lire à son entourage (ce qui n’était guère prudent). La disparition de Toussaint, cet ami résistant, précipite sa  fureur poétique.

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    Dès la fin de 1942 elle entreprend d’écrire son poème dramatique. Ne disposant pour se documenter que de la propagande de l’ennemi, elle est amené à se servir de matériaux oniriques : rêves sous forme de récits, hallucinations visuelles et auditives d’un dictateur plein d’orgueil plus cruel que le démon dont il est le pantin.

    L’inconscient certainement montre ici le bout de son nez. Claire Pope à l’irrationnel semble accorder par ailleurs quelque crédit quand elle écrit, à propos du sinistre Adolf qu’il est « tout naturel que le doute ait plané et plane encore sur le mystère de sa disparition ou de sa mort ».

    Les caractères Art-déco de la typographie utilisée sur la couverture contrastent bizarrement avec le contenu de cet ouvrage. Une petite vignette représentant Gutenberg figure au dos.

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    C’est celle de l’imprimeur : A. Chopin à Lezay dans les Deux-Sèvres. Pour la petite (et pour la grande) histoire, il faut souligner que cet artisan fournissait pendant la guerre de faux-papiers à la Résistance dont Claire Pope incarne un interstiCiel visage.

     

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  • Retour à Duvert

    C’est à Tony Duvert, écrivain « maudit » et trop oublié, que nous devons d’avoir pris conscience de l’intérêt porté par Jean Dubuffet à Robert Pinget, auteur quelque peu hermétique du courant littéraire baptisé Nouveau Roman.

    Une citation de La Parole et la fiction, à propos du « Libera ». Elle m’échappe pour le moment, n’ayant pas sous la main cet essai de Duvert publié chez Minuit en 1984.

    (Ohé, les érudits !..). C’est agaçant.

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    Retour à Duvert, l’ouvrage de Gilles Sebhan que Le Dilettante a publié à la fin de 2015, m’offre cependant l’occasion de me consoler. Et de mettre en évidence, chez l’auteur de L’Enfant silencieux, une sensibilité particulière à des faits artistiques incontestablement interstiCiels. Gilles Sebhan dans son livre sur la vie mystérieuse de Tony Duvert donne la parole à des témoins qui ont fréquenté celui-ci à diverses époques.

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    Jean-Paul Veyssière, avant de devenir libraire de livres anciens, avait créé à Tours la Buvette du Petit Faucheux (qui s’en souvient ?). Café, restaurant, théâtre, bouquinerie, c’était un lieu de rencontre « entre gens du quartier pour une bonne part immigrés ou marginaux invétérés ». Tony Duvert le fréquenta de 1976 à 1981. A son propos, Veyssière évoque un autre habitué du Petit Faucheux : « René Millet, ancien maître d’hôtel à Nice, alcoolique et clochardisé, quasi résident de ces lieux – bien qu’ayant une petite chambre rue Etienne-Marcel à deux pas, dont il avait couvert murs et plafonds, sans laisser un centimètre vacant, de femmes nues découpées dans Lui ou Playboy. Tony lui a rendu plusieurs fois visite et le comparait au Facteur Cheval ».

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  • À l’ii l’an neuf

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    À celles et à ceux qui en 2015 ont facilité la naissance, la croissance et la croustillance de l’Internationale interstiCielle : un grand mercii !

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  • Killed by Death

    « Un jour j’ai apporté ma guitare à l’école et je me suis vu entouré de nanas. Wow ! Il a une guitare. Avoir une guitare à l’époque, c’était quelque chose… Tous ces intellos qui se la pètent et qui veulent délivrer un message… Bullshit ! Ils veulent coucher avec des nanas, c’est tout ! »

    Lemmy Kilmister (1945-2015), fondateur de Motörhead.

    Médaille en chocolat à Michel Scognamillo qui a mis cette perle sous le nez de l’ii.

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  • Jeunesse de Sarrasine

    balzac-barthes.jpgIl suffit de lire pour voir que des faits intersticiels se cachent dans les livres. Même les plus fameux. Même ceux que la critique savante a propulsé une fois pour toute sur une seule orbite littéraire. Et qu’on n’a plus besoin de lire parce qu’on se contente de leur réputation. Ainsi de Sarrasine d’Honoré de Balzac, cette icône de l’ambiguïté sexuelle depuis le brillant S/Z de Roland Barthes.

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    Rencontrant cette nouvelle aux Puces le dimanche, sous sa couverture de bure de l’édition Skira (1947) qui ferait penser à la robe de chambre de Balzac (n’était le portrait par Albert Marquet dont elle est ornée) comment ne pas tomber, au hasard du feuilletage, sur ce passage où est évoquée la jeunesse rebelle de l’amoureux de la Zambinella, diva et castrat :

    « Au lieu d’apprendre les éléments de la langue grecque, il dessinait le révérend père qui leur expliquait un passage de Thucydide, croquait le maître de mathématiques (…) et barbouillait tous les murs d’esquisses informes. Au lieu de chanter les louanges du Seigneur (…), il s’amusait, pendant les offices, à déchiqueter un banc; ou quand il avait volé quelque morceau de bois, il sculptait quelque figure de sainte. Si le bois, la pierre ou le crayon lui manquaient, il rendait ses idées avec de la mie de pain. (…) Il laissait toujours à sa place de grossières ébauches, dont le caractère licencieux désespérait les plus jeunes pères; et les médisants prétendaient que les vieux jésuites en souriaient. Enfin, s’il faut en croire la chronique du collège, il fut chassé, pour avoir, en attendant son tour au confessionnal (…), sculpté une grosse bûche en forme de Christ. L’impiété gravée sur cette statue était trop forte pour ne pas attirer un châtiment à l’artiste ».

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  • Avignon sur le pont

    Autre marque d’intérêt, les notions « interstiCielles » ont fait venir en tête de Michel Benoit, animateur (et photographe) du blogue  Avignon ˉˉˉˉˉ│∩│ˉˉˉˉˉ│∩│ˉˉˉˉˉ│∩│ˉˉˉˉˉ  cette poésie qu’il a postée sur notre précédent blogue.

    Je la retranscris aujourd’hui pour le plaisir et pour ceux qui viennent d’arriver sur l’ii :

    Les espaces de l’espace sont aussi vides que pleins

    La menace des rapaces fait aimer les petits riens

    Tout est rêve qui s’achève alors que tout recommence

    Et la chaîne souveraine fait que rien n’a d’importance

     

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  • Gabriel Pomerand en action

    gabriel pomerand,isidore isou,jacques spacagna,maurice lemaître,orson welles,librairie fischbacherUn sourire en passant pour un trio de poètes. Le joufflu Isidore Isou, l’angélique Jacques Spacagna et le scolaire Maurice Lemaître. On s’amuse bien en ce temps là (1955) à la librairie Fischbacher, rue de Seine. Le lettrisme bien propre sur lui fait son show pour Orson Welles qui réalise alors un documentaire sur Saint-Germain-des-Prés.

    gabriel pomerand,isidore isou,jacques spacagna,maurice lemaître,orson welles,librairie fischbacherNe pas rater la fin qui emprunte quelques images à Ça va barder, le film de John Berry sorti la même année. 10 secondes de pur bonheur intersticiel. Aussi juvénile mais nettement plus sauvage! Gabriel Pomerand en pleine action : bave et éternité.

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  • La 13e lettre du facteur

    Il arrive que les lettres mettent longtemps à nous parvenir. Surtout quand elles ne nous sont qu’indirectement destinées. Il aura fallu 64 ans pour que celle-ci tombe dans les pattes de l’ii. La lettre d’un facteur en plus ! Ce n’est pas banal.

    jules mougin,sainte-anne,exposition internationale d'art psychopathologiqueMais qui se soucie aujourd’hui de ce minuscule cahier (n°68) de la Collection PS (comme post scriptum), édité par Pierre Seghers en 1951, où ce texte de Jules Mougin fut publié ? Jules Mougin c’est ce poète-postier qui correspondait avec le peintre-cordonnier Gaston Chaissac. 

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    Dans Paris, le…, le cahier imprimé dont il est question ici, Jules Mougin se dédouble et feint de recopier les lettres d’un de ses frères facteurs.

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    Ledit facteur (rural) est en stage à Paris dont il a « plus que marre ». C’est à son épouse restée chez « les bouzeus » qu’il écrit. 14 lettres dont nous avions parcouru 12 d’un œil distrait avant de tomber sur la pénultième qui ne saurait rester lettre morte puisqu’elle évoque la mémorable Exposition internationale d’art psychopathologique qui s’est tenue à Paris à la fin de l’année 1950 pendant le Premier congrès mondial de psychiatrie. Si le sang de l’ii n’a fait qu’un tour à la lecture de cette 13e lettre c’est qu’elle restitue à chaud les impressions d’un homme du commun (ou presque) sur cet événement qui eut pour cadre Sainte Anne, « chez les fous ». Sans nous épargner les détails concrets.

    Sur le prix d’entrée : « Il fallait payer 200 francs (…) c’est plus cher qu’un bifetèque ».

    Sur les exposants : « J’ai dit chez les fous, mais on les voyait pas. C’était leurs peintures ».

    Sur la sélection : « T’avais deux grandes salles de tableaux, en bas t’avais l’Amérique, en haut t’avais la France et puis aussi tous les fous de la terre, la finlande, la sarre, les italiens, la yougoslavie, les anglais et les espagnols.

    Sur les cartels : « Chez les Américains c’était écrit en anglais j’y comprenais qu’ouic tandis qu’en France et en Yougoslavie on expliquait en FRANÇAIS heureusement ».

    Sur le public : « des gens très chic, des artistes avec des barbes qui restaient des heures devant un tableau (…) trois ou quatre agents de police à cause des voleurs ».

    Sur le retentissement : « tout le monde en parle même au bureau ».

    Joseph, le facteur de Mougin, a ses petites préférences : « En France, c’est un maréchal ferrant qui dessine le mieux. (…) t’aurais dit des vieilles images de dans le temps. (…) un autre fou a dessiné SON ÂME tu la vois voler avec une robe blanche ».

    Ses petites phobies aussi : « J’ai vu sur un dessin un monstre qui riait comme un serpent, AVEC UN TROU QUI TE REGARDE, AU COIN DES LÈVRES. (…) Et dire qu’on peut devenir maboule nous aussi ».

    Malgré tous les efforts de l’équipe intersticielle, nous n’avons rien trouvé d’équivalent dans l’iconographie du livre de Robert Volmat (L’Art psychopathologique) relatif à l’exposition de Sainte-Anne.

    Mais comment ne pas délirer sur ce « truc inimaginable » qui a si fort frappé Joseph le facteur : « une lettre qui mesure, tiens-toi bien, 120 mètres de long, un vrai paquebot. Le fou se plaignait au Procureur de la République du traitement des docteurs. Il en avait gros sur la patate celui-là ».

    jules mougin,sainte-anne,exposition internationale d'art psychopathologique

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